Hommes, femmes, politiques, société civile, élèves, étudiants, planteurs, agriculteurs auront les oreilles tendues délicatement vers le siège du PDCI, à Cocody, le 16 décembre prochain, lors du congrès extraordinaire de ce parti. Le but de cette grande réunion, on peut le deviner, est de trouver un successeur au défunt président Henri Konan Bédié, arraché brutalement à l’affection de la Côte d’Ivoire le 1er août dernier.
C’est que depuis sa création en 1946, le PDCI n’a connu que deux présidents : Félix Houphouët-Boigny mort en 1993, soit 47 ans de règne, et Henri Konan Bédié qui lui a succédé, mort après 30 ans de présidence. Si les deux règnes sont longs, ils n’ont cependant pas désigné expressément de dauphin. C’est au lendemain de la mort d’Houphouët que Bédié a été désigné pour occuper le fauteuil laissé sans maître. Comme dans ce parti hyper conservateur, on change difficilement les choses, Bédié a fait du copier-coller. Le 16 décembre 2023, les militants devront lui trouver un successeur.
Plusieurs analystes considèrent cette élection comme celle de tous les dangers. Pour eux, le parti créé par Houphouët-Boigny et ses camarades de lutte serait notamment menacé par une implosion au regard de la multitude de candidatures, de la solidité et de l’aura de ceux qui les portent mais aussi de la vision qui sous-tend ce que chacun d’eux veut faire du vieux parti et de la Côte d’Ivoire.
Mais ces analystes semblent oublier quelque peu l’histoire de cette formation politique. Habituée des consensus, n’a-t-elle pas appelé « consensus national » le parti unique imposé à la Côte d’Ivoire pendant 30 ans ? Par ailleurs, là-bas, on est respectueux de l’ordre et l’on ne badine pas avec la gérontocratie. Il y a quelques années, lorsque le secrétaire général d’alors, Alphonse Djédjé Madi, âgé de près de 70 ans, a manifesté son désir de prendre la tête du parti, il lui a été rappelé qu’il était encore jeune et avait tout le temps pour diriger le parti. Et il s’est tu.
Sur la base de cette ligne directrice et cette éducation politique reçues pendant la formation de base, l’on peut se hasarder à affirmer que le président intérimaire Cowppli-Bony et sa troupe parviendront à un consensus total. Celui-ci pourrait se faire autour d’une paire de militants faite d’un politique « assermenté » et d’un technicien. Côté politique, celui qui est vu et qui semble bien placé pour emporter l’adhésion des congressistes est sans nul doute le professeur Maurice Kacou Guikahué.
Il a fait toutes ses classes dans ce parti. Ancien président du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI, appendice du PDCI), il a appartenu à tous les gouvernements de Bédié. Fidèle parmi les fidèles, il a été aux côtés du président Bédié dans les moments sombres comme dans les moments d’allégresse. Son abnégation au travail et sa capacité à protéger son parti et son président ont amené les militants à le surnommer « capitaine Courage ». C’est tout dire. Au moment où le PDCI fait de l’élection présidentielle de 2025 une étape des plus importantes de son existence, il aura sans doute besoin de la « chemise rouge » et de la foi de ce capitaine venu du Grand Ouest.
Sur la longue liste des technocrates, figure un nom qui revient sur toutes les lèvres : Tidjane Thiam. C’est un technocrate reconnu comme tel. Il a le chic d’être un des héritiers du père-fondateur du PDCI. Il est donc du V Baoulé, le plus gros fief du parti septuagénaire. Sa connaissance du monde politique occidental et de celui de la finance internationale fait de lui un putatif candidat sérieux à l’élection présidentielle. Cependant, son trop long séjour à l’extérieur loin des choses nationales est un sérieux désavantage puisqu’il ne maîtrise pas les arcanes et les rouages de la gestion des militants PDCI. Au vrai, il est censé ne pas avoir les aptitudes pour entrer aussi facilement que le ferait un Guikahué dans la psychologie de son entourage.
Il est parfaitement pénétré de cet état de fait puisque, plus d’une fois, son frère aîné gouverneur du District de Yamoussoukro (capitale politique) et militant du parti au pouvoir, lui a conseillé de venir au pays s’imprégner des affaires nationales s’il devrait s’intéresser un jour à la gouvernance de l’Etat ivoirien. En outre, cette question agace souvent ses partisans lorsqu’elle est mise sur la table. C’est du reste ce manque de confiance dans les militants de son parti, donc ce handicap, qui pousse Thiam et ses partisans à batailler sans relâche pour que le président qui sera élu le 16 décembre prochain soit, de façon naturelle, le candidat de ce parti à la présidentielle de 2025.
Leur crainte peut paraître légitime. Et cette légitimité trouve son origine dans le fait que le président du parti pourrait ne pas suivre le candidat dans ses objectifs et jouer contre lui. Mais de notre point de vue, c’est celui qui ne connaît pas le fonctionnement du PDCI qui peut avoir une telle idée derrière la tête. Les militants du vieux parti sont bien éduqués. Ils savent marcher ensemble. Ils savent se protéger et même avancer masqués. Thiam a certes des qualités indéniables comme le bon matelas financier, mais l’essentiel lui manque. Et cet essentiel-là, il peut le retrouver gracieusement chez Guikahué. Les deux n’ont-ils pas déjà appartenu au gouvernement Bédié dirigé par Daniel Kablan Duncan ?
Quand on fait les comptes, on note que Maurice Kacou Guikahué a non seulement fait preuve de fidélité incomparable, mais a la chance d’être de l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Géopolitique oblige, les deux hommes formeront donc un joli ticket pour remettre le PDCI debout et ainsi prendre la revanche sur l’histoire. Et ce sera un tremblement de terre !
Abdoulaye Villard Sanogo