Santé : la dangereuse prolifération des vendeurs ambulants de médicaments dans les bus et les cars
Les cars sont devenus le moyen pour des individus d'écouler des médicaments à la qualité douteuse
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Dans le tumulte quotidien des gares routières d’Abidjan, un phénomène discret mais lourd de conséquences continue de prospérer : la vente illégale de médicaments dans les bus et les cars de voyage. Des vendeurs ambulants qui montent dans ces véhicules, vantent les mérites de comprimés, sirops et autres « remèdes miracles ». Derrière cette scène banale, se cache un enjeu de santé publique trop longtemps négligé.
Un commerce en pleine expansion
Ce commerce informel a connu une croissance alarmante ces dernières années. À travers tout le pays, de Yopougon à Korhogo en passant par Bouaké, des vendeurs proposent des produits pharmaceutiques divers, sans autorisation, ni compétence médicale. Antipaludéens, antalgiques, sirops contre la toux ou traitements digestifs se vendent à la criée, à bas prix, au mépris des règles sanitaires.
Dans les bus et cars de voyage, ces vendeurs aux paroles mielleuses ont un discours bien rodé : ils promettent soulagement et guérison rapide, jouant sur la détresse des passagers en quête de guérison rapide, sans moyens financiers ou peu informés. Il ne faut pas en douter. Ce sont de bons commerciaux. Avec des cas témoignages souvent inventés (repérables aux incohérences dans leurs histoires), ils finissent par convaincre les plus sceptiques.
« Je les vois tous les jours monter avec leur panier, proposer leurs comprimés à voix haute, parfois même sans qu’on leur demande. Ils parlent de fièvre, de toux, de douleurs, et les gens achètent par habitude ou par manque d’argent », confie Moussa, un chauffeur de car d’une compagnie de transport bien connue.
Des produits sans contrôle, parfois venus de l’étranger
Les dangers que représente cette pratique sont multiples. Nombre de ces médicaments sont importés de manière informelle et ne possèdent aucune certification délivrée par les laboratoires ivoiriens. Certains viennent de marchés parallèles en Afrique de l’Ouest, parfois d’Asie, sans que leur provenance ne soit connue avec certitude.
Plus alarmant encore, parmi les produits vendus, figurent aussi des préparations dites « traditionnelles », aux vertus miracles censées guérir jusqu’à « 5, 10 ou 15 maladies à la fois ». Ces mélanges artisanaux, aux compositions douteuses, ne reposent sur aucune preuve scientifique, et peuvent même interagir dangereusement avec d’autres médicaments.
Aïcha, une passagère habituée des lignes Abidjan–Bouaflé, raconte :
« Un jour, j’avais mal à la tête et j’ai acheté un médicament vendu dans le car. Il était censé soigner la fièvre et le paludisme à la fois. Mais le soir, j’ai eu de fortes nausées. Depuis ce jour, je n’achète plus rien sans prescription médicale ».
Face à ce phénomène, les réactions des autorités restent timides. Aucun plan national spécifique ne semble cibler la vente ambulante de médicaments dans les transports. Pourtant, selon des médecins et pharmaciens, ce commerce sauvage pourrait favoriser l’essor de la résistance aux antibiotiques, des intoxications médicamenteuses, voire des décès évitables.
Les professionnels préviennent …
Pour Dr Kouadio (c’est le nom que nous lui donnerons puisqu’ils exerce dans la fonction publique et ne peut s’adresser à la presse sans autorisation), pharmacien :
« La population pense faire des économies, mais c’est un jeu dangereux. Sans contrôle de qualité, sans conservation adaptée, ces produits sont de véritables bombes à retardement ». Selon lui, les gens ignorent tout le processus que suit un médicament avant d’être vendu en pharmacie. « Alors se contenter du témoignage et de paroles mielleuses d’un charlatan pour s’en procurer est très dangereux. Dans l’immédiat, son médicament peut peut-être te guérir de ton mal. Mais quelles autres maladies, parfois plus graves, crée-t-il dans ton organisme », prévient-il.
… les vendeurs n’en démordent pas …
Pr B… (le nom est si grossier qu’il ne pourrait être mentionné dans ses lignes), rencontré à Yopougon-Siporex, se dit spécialisé dans le traitement les dysfonctionnements érectiles. « Je ne parle pas beaucoup. Mes clients parlent pour moi. En tout cas ceux qui ont essayé », se vante-il. Ajoutant : « Je peux sortir avec 50 voire 100 kaolins, ça finit le même jour. Je ne retourne jamais avec un échantillon ». Selon lui, les composants de son « remède miracle » viennent d’un arbre peu connu qui ne pousse qu’à Bondoukou. « Seule une famille en a le secret », confie-t-il tout en refusant de nommer cette famille. A l’en croire, son médicament traite toutes les maladies qui peuvent causer des troubles érectiles. Vrai ou faux ? Lui et ses « clients » en ont la réponse. Son collègue, à côté, lui, refuse de s’adresser à la presse. Pourquoi ? Nous l’ignorons. Mais, refuser de parler pour un produit dont on a confiance aux vertus semble louche.
… et pourtant la menace est réelle
Ce phénomène qui peut devenir un fléau sanitaire ne pourra être combattu sans une réponse coordonnée entre l’État, les transporteurs, les compagnies de bus, et la société civile. Il s’agit d’interdire l’accès de ces vendeurs aux véhicules de transport en commun, de renforcer la surveillance des circuits de distribution informels et de sensibiliser les populations, notamment dans les zones rurales et les gares routières.
Alors que la Côte d’Ivoire ambitionne de renforcer son système de santé, ce marché parallèle, qui met chaque jour en péril la vie de dizaines de personnes, mérite une attention urgente. La lutte contre ce phénomène nécessite des mesures fermes, des campagnes d’éducation et une vigilance constante.
Acheter un médicament dans un bus ou un car est peut-être pratique. Mais cela pourrait aussi être fatal.
Modeste KONE
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