Les policiers municipaux sont accusés à tort ou à raison d'être auteurs de plusieurs abus contre les populations
Depuis plusieurs mois, un profond malaise s’installe dans les relations entre la population ivoirienne et la police municipale. Déployée dans les 113 communes du pays, cette force censée faire respecter l’ordre urbain se retrouve aujourd’hui au cœur de nombreuses controverses. Accusée de dérives graves telles que le racket, les violences, les contrôles illégaux ou encore les abus d’autorité, la police municipale fait face à une vague de contestation sans précédent.
La majorité des plaintes concernent l’extorsion financière, le harcèlement, les menaces ainsi que les saisies abusives de biens. Ces accusations, de plus en plus relayées sur les réseaux sociaux, trouvent un écho dans les témoignages de citoyens qui dénoncent un climat de peur entretenu par certains agents municipaux.
« Ils nous traitent comme des criminels. Ils saisissent nos marchandises sans reçu et exigent de l'argent pour les restituer », affirme Mariam, vendeuse de vêtements à Yopougon, qui dit avoir versé 5 000 FCFA pour récupérer ses biens. Sans reçu.
« Ils nous arrachent les clés du véhicule sans motif. Ils n’ont même pas le droit de vérifier nos papiers », se plaint Koffi, chauffeur de gbaka à Treichville, estimant que ce rôle revient exclusivement à la police nationale.
Des pratiques hors cadre légal
Le rôle de la police municipale est défini par le décret n° 2015-101 du 18 février 2015, lequel ne lui confère aucune compétence en matière de contrôle routier ni de verbalisation pour infraction au code de la route. Pourtant, les témoignages se multiplient : contrôles routiers illégaux, amendes perçues sans reçu, immobilisations de véhicules…
Face à ces dérives, M. Jean Bonin, juriste et président de l’organisation FIER, a interpellé le ministère de l’Intérieur : « Nous avons identifié des contraventions dressées par des policiers municipaux pour des infractions routières, avec des amendes encaissées dans les caisses des mairies. C’est illégal. Ces recettes ne figurent même pas dans la nomenclature budgétaire des communes. »
En juin 2015 déjà, Fidèle Yapi, directeur général de la décentralisation et du développement local, rappelait : « La police municipale a pour mission d’assurer, sur le territoire communal, la sécurité, la quiétude des populations et, dans le cadre de l’accroissement des recettes, de contrôler les cartes de stationnement, les patentes et de vérifier si les taxes municipales régies par délibération sont acquittées. En dehors de cela, elle n’est pas compétente pour contrôler les pièces d’un véhicule. Cela relève de la police nationale. »
Des missions essentielles, mais détournées
La police municipale ivoirienne est censée jouer un rôle crucial dans le maintien de l’ordre local : sécurisation des marchés, salubrité publique, lutte contre les nuisances, surveillance des écoles, et gestion des catastrophes. Elle collabore également avec la police nationale et la gendarmerie pour garantir la sécurité publique. Certaines interventions, telles que la saisie de plus d’une tonne de viande de bœuf impropre à la consommation à Yopougon, ou encore le déguerpissement de zones insalubres à Abobo, illustrent que des missions de salubrité et de santé publique sont bel et bien assurées. Mais ces actions positives peinent à contrebalancer les nombreux abus rapportés quotidiennement.
Déjà en 2023, lors d’une conférence sur les difficultés du secteur du transport, Soumahoro Mamadou, président de la Maison des Transporteurs de Côte d’Ivoire, tirait la sonnette d’alarme : « Les transporteurs souffrent surtout à cause des rackets. Aujourd’hui, la police municipale a empiré la situation. C’est du jamais vu dans la sous-région. » Deux ans plus tard, les mêmes doléances persistent, mais les tensions sont devenues encore plus visibles.
Que faire ?
La résolution de ce malaise profond exige une action politique claire et coordonnée. Car au-delà du décret de 2015, certains maires ont attribué à la police municipale des prérogatives élargies par arrêtés locaux. En 2022, RTI Info avait interrogé un responsable de la mairie de Yopougon, qui déclarait : « Certains se sont étonnés de voir des policiers municipaux contrôler les pièces des véhicules. Mais cela fait partie de nos prérogatives, conformément à l’arrêté n° 29 du 24 septembre 2021 relatif au transport des tricycles, et à l’arrêté n° 27 du même jour sur la circulation routière dans la commune. » Une clarification s’impose donc pour harmoniser les textes et éviter les abus, tout en prévenant le désordre juridique.
En définitive, une réforme structurelle s’avère plus qu’urgente. Faute de quoi, la fracture entre la police municipale et les citoyens continuera de se creuser, mettant en péril la mission même de cette force : garantir la sécurité, la tranquillité et la salubrité des populations locales.
Modeste KONE
Donnez votre avis