Appelons les choses par leurs noms. Ce qui arrive à l’avocat, ex-député, ex-collaborateur direct de l’ex-président du PDCI-RDA, président encore en exercice du Sénat ivoirien, n’est rien d’autre qu’un règlement de comptes. Et, avouons-le, l’actuel collaborateur du chef de l’Etat avait très peu de chance de relever la tête. Le ver étant dans le fruit, il a été passé proprement par les fourches caudines, à la grande satisfaction de tous ceux qui n’ont guère apprécié qu’il n’ait pas suivi son patron Bédié lorsqu’à sa sortie du RHDP, il a claqué la porte derrière lui.
Le 6 juin 2019, sur les antennes de la télé numérique PDCI 24, dame Véronique Aka, responsable PDCI de la région du Moronou, attirait déjà l’attention de l’opinion sur ce qu’elle savait de Jeannot Ahoussou Kouadio. Des propos quelque peu durs pour rendre une réalité tout aussi dure : le départ du député de Didiévi du PDCI-RDA. « Tous les problèmes que nous avons, c’est Ahoussou (…). Ahoussou, c’est un poison de la République, c’est un danger pour la République. J’assume mes propos parce que je sais de quoi je parle », avait déclaré l’ex-pensionnaire de chez Houphouët-Boigny.
Elle dira à ceux qui la suivent que pendant 5h d’horloge, elle a échangé avec le bras droit de Bédié, « l’homme qui rentre dans la chambre de Bédié et qui parle avec Bédié ». Ce qu’elle retient de ces échanges est que le député de Didiévi avait promis au RDR qu’il viendrait adhérer au RHDP avec dans sa valise le PDCI. Dans le même temps, il attendait que le PDCI le choisisse comme son candidat à la présidentielle. Comme le RDR lui mettait une pression terrible par le biais des Bictogo et autres et que par ailleurs, il ne voyait rien poindre à l’horizon côté PDCI, il a fini par faire le chemin inverse de Bédié.
La dame de fer du vieux parti qui était très remontée ce jour-là, comme si elle était inspirée par Dieu, a voulu calmer le jeu vers la fin de son speech. Pour elle, c’est Ahoussou qui « a roulé Bédié et Ouattara dans la farine », c’est donc lui qui serait à la base de la fracture intervenue entre les deux leaders. « Il sait ce qu’il a dit à Bédié et à Ouattara…Mais attendons. Nous allons voir les conséquences », avait-elle prophétisé. Ces conséquences sont là, sous nos yeux. Le président du Sénat les reçoit au visage comme un effet boomerang.
Jeannot Ahoussou vient de « taper poteau » deux fois de suite lors des élections régionales et sénatoriales. Si pour les régionales on peut comprendre son échec, on s’explique difficilement le Waterloo napoléonien des sénatoriales du 16 septembre 2023. Ici, ce sont les grands électeurs qui élisent les sénateurs. Or, dans la région du Bélier où son parti le RHDP avait plus de grands électeurs que le PDCI, ces grands électeurs ont fait le choix de ne pas porter leur choix sur lui. Mais plutôt sur les candidats du PDCI. Difficile à comprendre, non ?
Pour le commun des mortels, c’est une situation inextricable qui ne peut être démêlée que si on la regarde à travers des loupes. Mais la réalité est que depuis le 1er août 2023, date du décès inattendu du président du PDCI, les militants de ce parti et plus particulièrement les habitants du V Baoulé ont décidé de rendre hommage à leur chef en prenant le pari de remporter les élections sur ses terres. Quand on sait que Ahoussou est vu et présenté comme étant le chef d’orchestre de la grande traîtrise dont parlait Véronique Aka, on comprend pourquoi tous, y compris ceux qui ont quitté la barque avec lui, se sont ligués contre lui. Certains vont même jusqu’à penser que ce sont « les intrigues » de l’ancien député de Didiévi qui ont provoqué le départ précipité du président du PDCI.
Comme on le voit maintenant, l’hommage à Bédié ne pouvait pas s’arrêter en si bon chemin. Selon un politique qui croit détenir les informations du « bois sacré », c’est avant la campagne électorale que le sort du président du Sénat a été scellé. « Les consignes claires ont été données, sans bruit, comme de coutume, pour élire Brice Kouassi, notre fils. Ce que Ahoussou n’est pas », avait martelé ce septuagénaire à l’humeur enjouée. L’autre consigne, toujours selon l’homme au discours enjoliveur, c’était qu’à leur tour, les élus élisent les militants du PDCI qui seront candidats aux sénatoriales. Avec un tel pacte qui s’est fait « sans bruit » (Ahoussou connaît bien cette méthode), l’avocat et ancien Premier ministre devrait se savoir « mort » depuis longtemps dans le film.
Mais attention ! Il pourrait ne s’agir que d’une mort dans le film. Car la réalité est tout autre. Jeannot Ahoussou Kouadio est sénateur et président du Sénat par la seule volonté du chef de l’Etat qui voulait certainement le récompenser pour le travail abattu dans l’arrivée importante de cadres du PDCI au RHDP. Ahoussou fait donc partie des 30 sénateurs que nomme le chef de l’Etat selon la loi qui a créé le Sénat. Il est vrai qu’à l’époque, l’homme était député de Didiévi et a dû renoncer à son mandat pour celui de sénateur. C’est dire que Ouattara peut le nommer encore sénateur pour qu’il reste à son poste de président du Sénat. Ne serait-ce que pour envoyer un message aux populations du V Baoulé : c’est lui qui a le dernier mot.
A moins que la double déculottée électorale ne réveille en Ahoussou son instinct d’homme de valeurs et de dignité et qu’il ne rende sa démission ou que le chef de l’Etat, devant ce désaveu populaire, ne décide de l’envoyer ailleurs (comme c’est le cas souvent) ou même de lui indiquer la voie de la retraite politique.
Abdoulaye Villard Sanogo