Prêts usuraires : Alerte ! Les margouillats sont de retour avec de nouvelles méthodes





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L’intégration des technologies de l'information et de la communication dans tous les domaines de la société n'est pas qu'un avantage pour tous. Elle profite également à des personnes malveillantes qui trouvent là le moyen d'arnaquer et de profiter de leur prochain. C'est le cas des usuriers, communément appelés margouillats.

Les usuriers sont en fait des personnes qui, en dehors de tout cadre légal, prêtent de l'argent à d'autres. Deux particularités les caractérisent. D'abord leurs taux d'intérêt trop élevés. Et gare aux mauvais payeurs qui peuvent se retrouver en train de rembourser près du double de la somme empruntée. Ensuite, leur mode spécifique de recouvrement. Les margouillats gardent par devers eux la carte magnétique de leur débiteur. À la fin du mois, ce sont eux qui retirent l’argent de l’emprunteur, se servent et lui donnent ce qui reste. C’est selon leur bon vouloir.

Face aux difficultés que rencontraient les salariés, particulièrement les fonctionnaires qui étaient leur cible, les autorités ivoiriennes ont pris des mesures pour freiner les activités des usuriers. Depuis lors, ces derniers se sont faits plus discrets. On ne les voyait plus aux abords des banques, leur lieu de prédilection pour pêcher d’éventuelles personnes en difficulté financière. Mais, ils n'ont pas pour autant abandonné leur activité illégale.

C’est au détour d’une conversation que Moussa S., agent de l’Etat, nous a confié qu'alors qu'il rencontrait des difficultés financières, il avait en même temps besoin d’argent pour des soins médicaux. C'est alors qu'une connaissance  lui a  fait connaître l’existence d’applications qui prêtent facilement de l'argent et en un temps record. 

Notre interlocuteur, qui n’avait pas le choix, a donc eu recours à l’une de ces applications. Certes, son problème a été réglé dans l’immédiat, mais tout s’est gâté au moment du remboursement. C’est donc la mort dans l’âme qu’il a dû se soumettre aux desideratas de ses créanciers en se faisant la promesse de ne plus avoir recours à eux. 

Pour lui, il ne s’agit que d’usuriers. Car ils ont les mêmes méthodes. Pouvait-on douter de ses propos, lui qui dit avoir déjà eu affaire à ces margouillats, et qui a mis près de 2 ans à sortir de leurs griffes ? Soit ! Mais comment, à travers une simple application, peut-on emprunter de l'argent et se faire arnaquer par la suite ? Le moyen le plus sûr de comprendre, était, selon nous, de faire une incursion dans ce milieu.

Depuis quelque temps, en effet, avec le développement des technologies de l'information et de la communication, naissent diverses applications. On peut citer Easy cash, Prêt en ligne rapide, Prêt en ligne, Le prêt d'argent mobile, Prêt et financement en ligne, Prêt facile, Prêter facilement etc. Si, comme leurs noms l'indiquent, le prêt est facile à obtenir, par contre il se cache derrière lesdites applications aux dénominations aguichantes, des pièges. Comme nous avons pu le constater nous-mêmes lors de nos investigations.

L’application sur laquelle nous avons jeté notre dévolu, est Prêter facilement. En moins de 2 min, nous avons téléchargé l'application et rempli les différents formulaires (nom et prénoms, date de naissance, numéro de téléphone, personnes à joindre en cas d'urgence, etc.). Surtout, et nous découvrirons plus tard que c'est le premier piège, nous avons donné l'autorisation à l'application d’avoir accès aux contacts.

 

Des prêts faciles … mais le piège se referme

 

Deuxième étape de notre investigation, la prise du prêt. Nous décidons d'emprunter 5 000 FCFA. L'application nous fait savoir que nous pouvons percevoir jusqu'à 20 000 FCFA. En fait, elle nous l'impose. C’est le deuxième piège. Malgré ça, nous décidons de continuer en validant le prêt. Nous sommes alors au lundi 13 mars 2023. Et là, l'application affiche que nous ne recevrons+ que 14 810 F pour un remboursement de 20 000 FCFA en 9 jours. 

Petit calcul mental et nous nous rendons compte que le taux de remboursement s'élève à près de 35 %. Ce qui veut dire que celui qui emprunte 100 000 FCFA remboursera 135 000 FCFA, 500 000 FCFA pour 675 000 FCFA et 1 000 000 FCFA contre 1 350 000 FCFA et ainsi de suite. C'est tout simplement une pratique digne des usuriers. Toujours est-il que nous recevons effectivement les 14 810 FCFA le lendemain via mobile money.
Neuf jours après, arrive le jour du remboursement. Il est exactement 9 h 35 quand nous recevons un coup de fil auquel nous ne pouvons répondre compte tenu de l’environnement dans lequel nous nous trouvons. Une minute plus tard, un sms nous parvient : « Service_LePrêt. Bonjour Monsieur, votre prêt arrive à échéance aujourd'hui à 9 h 30 qui correspond à l'heure à laquelle vous avez contracté. Veuillez passer au remboursement dans le délai pour bénéficier des avantages. Nous tenons à vous rappeler à toute fin utile que passé ce délai des désagréments en accord avec notre contrat pourraient survenir. Restez joignable sinon nous serons obligés d'appeler votre répertoire (Parents, amis, collègues). Merci pour la compréhension ». 

Des menaces à peine voilées qui nous font comprendre pourquoi l'application demandait l'autorisation d'avoir accès aux contacts du téléphone. Deux heures de temps plus tard, toujours avec la ferme intention de savoir jusqu'où iraient ces menaces, nous recevons un autre sms : «Monsieur, le Paiement n'est pas fait. Je serai obligé d'appeler vos contacts». Puis quelques minutes plus tard, un autre message : «Monsieur, faites notre paiement s'il vous plaît. J'ai pas envie d'appeler vos contacts, mais vous ne me laissez pas le choix». Nous ignorons toujours ces messages de menace et attendons le lendemain pour savoir jusqu'où iraient les promoteurs de cette application.
24 heures après le début des menaces, nous recevons un autre appel. Cette fois, la voix au bout nous informe que, compte tenu du retard, nous devrons payer 21 525 FCFA au lieu de 20 000 FCFA. Soit 1 525 FCFA en plus pour un jour de retard. Imaginez la pénalité pour qui emprunte 500 000 FCFA ou 1 000 000 FCFA.
Ces différentes plate-formes, qui savent certainement qu’elles sont dans l’illégalité, contactent facilement les emprunteurs. Mais, en retour, il est difficile de les joindre. Soit parce que le numéro de téléphone qui appelle est injoignable ou ne décroche jamais, soit parce que certaines n’appellent qu’à partir de numéros masqués.
En fait, ce qu'il faut retenir est que, derrière ces applications, se cachent, comme le disait Moussa S., purement et simplement des usuriers. Les pratiques sont les mêmes. Taux d'intérêt élevés, menaces et chantages, pénalités à tout bout-de-champ, etc. La Plate-forme de lutte contre la cybercriminalité devrait s’en saisir. Car, au regard de la loi, c'est un délit et elle dispose d’instruments juridiques nécessaires pour intervenir.

Des dispositions juridiques pour lutter contre les prêts usuraires


L'Assemblée nationale a, en effet, adopté le 30 octobre 2014, à l’unanimité, un projet de loi portant « répression de l’usure». Cette loi précise que «tout prêt ou toute convention dissimulant un prêt d’argent consenti, en toute matière, à un taux effectif d’intérêt excédant à la date de sa stipulation, le taux de l’usure est considéré comme prêt usuraire». 

À l’époque, la ministre auprès du Premier ministre chargé de l’Économie et des Finances, Kaba Nialé, avait jugé que cette pratique ne permet pas aux travailleurs, surtout les fonctionnaires, d’avoir une condition de vie appréciable. L’article 7 de la loi 2014-810 du 16 décembre 2014, stipule que «des peines privatives de liberté de 2 mois à 2 ans et des amendes de 100.000 à 5.000.000 F CFA sont prévues pour toute personne qui aura consenti à autrui un prêt usuraire directement ou indirectement». Et précise qu’«en cas de récidive, la peine privative de liberté sera portée à 5 ans et l’amende pécuniaire à 15 millions ».
Quant à la loi 2013-451 du 19 juin 2013, elle définit la cybercriminalité comme l'ensemble des infractions pénales qui se commettent au moyen ou sur un réseau de télécommunication ou un système d'information.
Au regard de ces textes de loi, les autorités compétentes disposent donc d’instruments juridiques nécessaires pour mettre fin aux agissements de ces usuriers qui n’ont fait que changer de cadre, mais utilisent toujours les mêmes méthodes. Leur champ d’action, avec les nouvelles méthodes, s’est agrandi. Et si l’on n’y prend garde, ils feront de nombreuses victimes. Sans oublier que c’est le pays qui ne gagne rien dans ces différentes transactions, ce sont les structures financières qui font face à une concurrence déloyale, et c'est la population qui se fait arnaquer.

Modeste KONE

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