Charles Blé Goudé, ex-leader de la galaxie patriotique, transféré à la Cour pénale internationale (Cpi), puis acquitté, est de retour en Côte d’Ivoire, depuis le samedi 26 novembre 2022. Il avait prédit son retour, dans une œuvre écrite, à travers ces mots énigmatiques : "de l'enfer, je reviendrai". Il est donc là, plus tribun que jamais. Dès son retour, il a testé sa popularité, à la célèbre place CP1 de Yopougon devant une foule, estimée à 7000 personnes. Bras ouverts en signe de victoire, chemise blanche comme pour dire qu'il est propre, il a galvanisé, le temps d'un petit meeting, son monde. Simone Gbagbo, Pascal Affi N'guessan et bien d'autres acteurs politiques, par leur présence, lui ont exprimé leur soutien. Le come back de l'ex-agitateur de foule pour le compte de son mentor, l'ancien président Laurent Gbagbo, s'est fait sur des chapeaux de roues.
S'il avait été dit un jour à Soro, que Blé Goudé, à qui il recommandait de venir affronter la justice de son pays, rentrerait pendant que lui, Soro, se retrouverait en exil, pour sûr, il en aurait fait un scandale
Ce retour en fanfare a quelque chose de surréaliste. Qui pouvait imaginer, 10 ans auparavant, que Blé Goudé pouvait revenir, triomphalement, en Côte d’Ivoire ? Ah ! le temps. Ah ! la politique. À contrario, l'ancien-président de l'Assemblée nationale, Guillaume Soro, est en cavale. Lui qui, à l'époque du transfèrement de Blé Goudé à la CPI, était porté au pinacle, est aujourd'hui voué aux gémonies, condamné à l'exil. Le contraste du tableau est frappant. S'il avait été dit un jour à Soro, que Blé Goudé, à qui il recommandait de venir affronter la justice de son pays, rentrerait pendant que lui, Soro, se retrouverait en exil, pour sûr, il en aurait fait un scandale. Et pourtant, la réalité est là, implacable.
Les partisans de Soro, dans les excès d'émotions, demeurent perplexes face à ce contraste, cette ironie de l'histoire. J'expliquais à l'un d'entre eux que Soro est lui-même l'artisan de son malheur. Voilà quelqu'un à qui était tracé un chemin royal. Porte-parole du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (Mpci), secrétaire général des Forces nouvelles (Fn), ministre d'Etat, Premier ministre, President de l'Assemblée nationale. Il ne lui restait qu'une marche pour être assis sur le trône. Puis, patatras ! Comme un damné des Danaïdes, il s'est condamné à exécuter des tâches sans fin ; sous entendu des complots à n'en point finir, qui l'ont finalement éloigné du chemin tracé. On peut citer pêle-mêle la mutinerie de 2017, pendant laquelle un coup de fil de son fidèle lieutenant, Soûl to Soûl, aux mutins de Bouaké a fuité. On peut citer les attaques de ses cyber-activistes, payés grassement aux frais de l'Assemblée nationale, contre le président Alassane Ouattara. On n'oublie pas ses coups bas, son tango et plus grave, l'audio dans lequel il programme un coup de force contre le pouvoir d'Abidjan. Il y a enfin ce sinistre projet d'assassinat du President Ouattara le 31 octobre, dans le cadre du non moins tristement célèbre CNT, operation pour laquelle il avait ouvertement appelé les forces de defense et de sécurité à se rebeller contre l'autorité de l'Etat, sans oublier l'arrestation, quelques mois plus tard, de son aide de camp et de complices à Abidjan, en possession d'armes d'assaut pour un énième coup d'Etat.
C'est là l'une des plus grosses contradictions chez les Soroïstes. Ils ferment les yeux sur les crimes et méfaits de leur gourou et invite les autorités à le supplier de revenir au pays. C'est quand même renversant
Le partisan de Soro, à qui j'ai égrené ce chapelet incomplet de forfaits graves, semblait comprendre. Sauf qu'il souhaite que tout cela passe par pertes et profits et sollicite l'intervention du président Alassane Ouattara pour le retour de "son fils". C'est là l'une des plus grosses contradictions chez les Soroïstes. Ils ferment les yeux sur les crimes et méfaits de leur gourou et invite les autorités à le supplier de revenir au pays. C'est quand même renversant. Mais passons. Blé Goudé, lui, pourtant condamné à 20 ans de prison ferme, a compris les enjeux de la politique. Il a certes un passé qui ne peut être oublié, mais à sa décharge, il a préparé les esprits à son retour. Il a changé de langage et s'est inscrit dans un processus d'apaisement. Il n'a jamais soutenu, en tout cas pas ouvertement, un mouvement insurrectionnel, ni armé. Le changement de son langage lui vaut actuellement des piques dans son propre camp.
J'ai dit au partisan de Soro qu'il n'est pas encore tard. Tout dépend de lui. Tant qu'il aura sa posture actuelle, il lui sera difficile, voire impossible de parvenir à ses fins. Il lui appartient de faire son mea culpa, d'abandonner la stratégie du complot permanent et d'emprunter le chemin de l'apaisement, pour que les portes du pardon s'ouvrent. Le rythme du tam tam a changé. Il lui appartient de changer les pas de danse. Blé Goudé l'a si bien compris qu'il est aujourd'hui de retour chez lui !Parmi les siens !
Yacouba DOUMBIA