Nous sommes le dimanche 26 juin 2022, la ville de Grand-Bassam est en joie. Cette cité balnéaire célèbre les 40 ans du diocèse. Il y a du monde en ville. De nombreux véhicules convergent vers la commune chère au maire Jean-Louis Moult. La voie, l’ancienne, est bondée de véhicules. Impossible d’accélérer.
A Grand-Bassam, pour l’occasion, la mairie a décidé de fermer de nombreuses artères. Du coup, en passant par l’ancienne route, il est impossible de rentrer directement dans la ville. Arrivé au carrefour Mosquée, il y a une bifurcation à gauche. Une voie bitumée, une autre non-bitumée avant de rejoindre la voie bitumée vers le carrefour conteneur Orange qui mène à l’intérieur de la commune en passant par l’Université internationale de Grand-Bassam. Du coup, des bouchons se sont formés à plusieurs endroits. Malgré cette situation, de nombreuses voitures ont opté pour l’ancienne route. Pourtant, il existe bien la nouvelle autoroute ouverte au public depuis à blanc le 14 septembres 2021, et devenue payante, vendredi 24 juin 2022. Un fait qui attise forcément la curiosité.
Interrogé sur la question, le chauffeur qui nous transporte à Grand-Bassam depuis la gare de Treichville, nous répond : « de toutes les façons, depuis que cette autoroute a été ouverte, les conducteurs de véhicules de transport que nous sommes, ne l’empruntons pas. Nous continuons de passer par l’ancienne voie. Mais, étant donné que plusieurs personnes évitent la nouvelle autoroute pour venir sur l’ancienne route, ça crée de nombreux embouteillages. On risque donc d’augmenter les tarifs ».
Les tarifs du péage ne répondent à aucune logique
Juste à côté, notre voisin, un mécanicien à Abidjan qui réside dans l’ancienne capitale de la Côte d’Ivoire, qui dit faire ce trajet deux fois par jour, en aller et retour, est très remonté : « Comment on peut imposer un péage dont le montant minimum est de 1.000 FCFA sur un trajet dont le tarif du transport commence à partir de 500 FCFA ? Ça ne s’explique pas et ça ne répond à aucune logique ».
Une fois à Grand-Bassam, nous voilà au conteneur Orange. Il faut dire que la circulation est tellement au ralenti que nous renonçons à aller plus loin pour l’instant. Dans ce quartier qui est pratiquement en chantier, nous rencontrons M. Niamkey, un jeune homme qui dit être étudiant. Il dit ne pas être contre le principe du péage, mais il a sa recette. « Je pense qu’imposer un péage dont le coût commence à 1.000 FCFA aux habitants de Grand-Bassam est une injustice. Les populations de Bonoua et Bassam devraient payer maximum 500 FCFA. Dans ce cas, on devrait faire des reçus de paiement avec différentes couleurs. Bassam et Bonoua pourraient avoir une même couleur. Il appartiendra aux forces de l’ordre ou des contrôleurs du Fonds d’entretien routier (FER) de faire des contrôles aux sorties de ces deux villes. Toute personne qui paie le tarif de l’une des deux villes et qui se retrouve au-delà, devra payer une amende tellement forte que si l’idée lui venait de frauder à nouveaux, il réfléchirait par deux fois. Sinon, je trouve injuste de payer le même tarif pour Bonoua et Bassam que ceux qui vont au-delà comme à Aboisso, Adiaké ou Assinie. Je suis étudiant, je fais partie de l’élite de demain et c’est ma proposition ».
Juste pour perdre un peu le temps, nous flânons dans le quartier. Une heure de temps après, nous sommes bord d’un taxi, direction Moosou. Premier constat, même les véhicules qui viennent de Bonoua et qui ont pour destination finale Abidjan, préfèrent traverser la ville de Grand-Bassam pour éviter le péage. « Mon cher, déjà que les activités ne marchent pas comme on le veut, si on doit venir ajouter 1000 F par passage, vers la fin, qu’est-ce qu’on va gagner, nous les chauffeurs. Parce que, ce qu’ignorent les gens, c’est que les recettes à verser aux propriétaires de voitures n’ont pas diminué. On préfère donc passer par la ville », déclare Aka, un chauffeur sur la ligne Bonoua – Abidjan.
On préfère l'ancienne voie
Youssouf S., un automobiliste descendu acheter des pastèques, abonde dans le même sens. « Les transporteurs ont raison. C’est parce que j’ai une urgence sur Abidjan. Sinon, j’aurais emprunté le même itinéraire qu’eux. Le péage à 1000 F est une foutaise ».
Nous décidons de faire un tour dans le village de Moosou. Dans l’espoir de nous restaurer. À peine entré que nous sommes hélés par une connaissance. Nous prenons place à côté de lui. C’est une aubaine. Avec lui, la conversation peut aller plus loin. A peine le sujet abordé qu’il nous informe qu’il habite désormais à la Riviera-Faya. « Mon frère, j’ai fait un mauvais calcul. Mon entreprise était installée à Abidjan. Pour me rapprocher de mon lieu de travail, je suis allé prendre une maison à la Riviera-Faya. Deux mois après mon déménagement, la société vient se baser à la zone franche. Il y a quelques temps, on m’informe que l’autoroute est désormais payante. Du coup, quand je prends ma voiture dans mon quartier, je passe sur le 3e pont où je paie 500 FCFA. Je passe sur l’autoroute, je débourse 1.000 FCFA. Ça me fait par jour 1.500 FCFA à l’aller et 1.500 FCFA au retour. Soit un total de 3.000 FCFA par jour. Une dépense supplémentaire sur mon budget. Je suis foutu », se lamente-il. Notre conversation d’une heure de temps avec lui n’a tourné qu’autour de la question du péage de l’autoroute. Tant le sujet lui tient à cœur et est devenu une véritable problématique pour lui.
L’autoroute Abidjan-Bassam est une section du corridor Abidjan-Lagos. Le tronçon est l’un des plus sollicité du réseau ivoirien car il ouvre sur la côte Est, selon les initiateurs du projet. Le tronçon du péage de Grand-Bassam s’étend sur 17 km. Il est composé de 16 couloirs dont 8 de chaque côté. Il comprend un poste de police, un poste de sapeurs-pompiers, un dortoir et un réfectoire pour les employés qui sont au nombre de 300. Le péage de Grand-Bassam compte également un bâtiment administratif qui abrite à la fois le tout premier centre de contrôle de tous les péages de Côte d’Ivoire et également les bureaux de la direction de la commercialisation de la route du FER. On apprend aussi que l’élargissement des voies sur l’autoroute de Grand-Bassam est à 500 mètres, contrairement à celui du 3e pont qui est à 160 mètres.
Malgré toutes ces précisions, toutes les personnes interrogées n’en ont cure. Leurs réactions peuvent se résumer en ces termes : « il appartient à l’État de planifier et de financer les constructions des routes. Pas à la population. Maintenant, si les dirigeants veulent une contribution des populations pour la construction et l’entretien des routes, elle doit être raisonnable. Parce que la population ne rembourse pas à l’État, elle ne fait que l’aider ».
De manière générale, cette tournée sur le terrain fait ressortir un fait. Sans être contre le péage, les Ivoiriens trouvent que les tarifs sont exorbitants et contribuent à les appauvrir. Mais leurs voix seront-elles entendues ?
Modeste KONE