Déclaration de l’ONG internationale « Justice for Africa » sur la dégradation de la situation sociopolitique ivoirienne suite à la validation par le Conseil constitutionnel de la candidature du Président Alassane Ouattara pour un 3ème mandat présidentiel
- Rappel des faits et du contexte sociopolitique
« Justice for Africa » s’inquiète de la dégradation de la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire. D’une part cette dégradation est consécutive à l’annonce par M. Alassane Ouattara, président sortant, de briguer un troisième mandat présidentiel pour l’élection du 31 octobre 2020, et cela, en violation des dispositions constitutionnelles en matière de mandat présidentiel, selon de nombreux experts. D’autre part, cette dégradation est la conséquence de la validation de la candidature controversée du président-candidat par le Conseil constitutionnel ivoirien.
En raison de signes d’alerte patents et concordants, susceptibles de mettre à mal le processus démocratique déjà précaire en Côte d’Ivoire, « Justice for Africa » exprime une vive inquiétude.
Trois niveaux de faits militent pour le renforcement de cette inquiétude.
- De la validation de la candidature du président sortant et de l’exclusion artificielle des poids lourds de l’opposition annonciatrices d’un scrutin présidentiel vicié d’avance
Le 14 septembre 2020, le Conseil constitutionnel de Côte d'Ivoire a validé la candidature du Président Alassane Ouattara à un troisième mandat controversé. Toutefois, il a rejeté 40 des 44 candidatures régulièrement enregistrées par la Commission électorale dont celles de l'ex-Président Laurent Gbagbo et de l'ex-Premier ministre Guillaume Soro. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), dans ses arrêts respectifs n°025/2020 et no012/2020, a rendu des décisions judiciaires opposables en exigeant l’intégration par le Conseil constitutionnel ivoirien des noms de ces deux personnalités politiques sur la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle d’octobre 2020.
En outre, des 4 candidats retenus par le Conseil constitutionnel, les 2 candidats significatifs, à savoir l’ex-Président Henri Konan Bédié et l’ex-Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, ont renoncé à la compétition présidentielle pour, disent-ils, dénoncer la violation de la Constitution ivoirienne par M. Alassane Ouattara en ses articles 55 et 183. Ainsi, il n’est resté en lice contre le Président Alassane Ouattara qu’un seul candidat, qui, aux yeux de l’opinion ivoirienne, servirait en réalité que de « faire-valoir » au 3ème mandat du président sortant. De ce fait, de vives tensions favorisées par des manifestations publiques ont ressurgi dans le pays avec une montée en puissance d’actes de violence non seulement verbale mais physique entre les parties opposées.
II. De l’indépendance du Conseil constitutionnel et de la Commission électorale
Le Conseil constitutionnel ivoirien est présidé par M. Koné Mamadou, ministre de la justice et garde des sceaux dans le gouvernement Ouattara de 2015 et membre actif de son parti politique, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). En sus, la Commission électorale « indépendante » est présidée par M. Coulibaly-Kuibiert Ibrahime, exDirecteur de cabinet de M. Koné Mamadou, présumé lui aussi comme étant proche du RHDP. Par ailleurs, la CADHP dans son arrêt du 15 juillet 2020, a souligné le déséquilibre frappant de la Commission électorale en faveur du RHDP et exigé une réforme en profondeur de l’institution avant les élections présidentielles de 2020. Ainsi, en plus de la méfiance avérée de l’opposition sur la fiabilité des listes électorales, le contrôle par le pouvoir en place de la Commission électorale et du Conseil constitutionnel jette un discrédit total sur le processus électoral mettant ainsi en cause la transparence et l’impartialité du scrutin présidentiel du 31 octobre 2020 en Côte d’Ivoire.
III. Des violations des Droits de l’homme et des pertes en vies humaines déjà enregistrées en Côte d’Ivoire à la veille du scrutin présidentiel
Les tensions autour de l’élection présidentielle du 31 octobre prochain ont déjà provoqué au moins 14 morts depuis la mi-août dernier selon Amnesty Internationale (rapport du 28 août 2020). Ces tensions laissent craindre une résurgence des violences intercommunautaires de 2010-2011 qui avaient fait plusieurs milliers de morts, et causé d’importants dégâts matériels. Récemment, des violences ont été enregistrées lors de la manifestation populaire organisée par l’opposition le 10 octobre dernier, dans le cadre de son appel à « la désobéissance civile ». Cette manifestation a été émaillée d’attaques de manifestants causant, selon la presse, 97 blessés graves à coups de couteau et de machettes. Des milices armées à la solde du RHDP sont mises en cause.
- Notre position de cette analyse des faits et de la gravité de la situation Considérant que le 31 octobre 2020, le président sortant Alassane Ouattara aura bouclé 2 mandats présidentiels successifs depuis son accession au pouvoir d’état en 2010 ; considérant que cette accession au pouvoir au détriment de son concurrent, l’ex-Président Laurent Gbagbo, a été le résultat d’énormes efforts diplomatiques et politiques déployés par la communauté internationale et de la montée d’une force militaire internationale qui a mis fin au conflit armée ;
Considérant le rôle moteur que joue la Côte d’Ivoire dans la sous-région ouest-africaine où elle détient à elle-seule plus de 40% des devises de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ; considérant aussi que cette situation économique de la Côte d’Ivoire a favorisé depuis des décennies une immigration vers ce pays de nombreuses populations africaines, créant ainsi une démographie ivoirienne cosmopolite faite de plus de 30% de migrants ;
Considérant que la sécurité intérieure de la Côte d’Ivoire est encore fragile eu égard à des mutineries et à des découvertes successives de nombreuses caches d’armes ; considérant que cette sécurité fragile est rendue précaire par des attaques djihadistes répétitives dans le pays mais aussi au Burkina Faso et au Mali voisins, attaques qui mettent en péril la sécurité et la stabilité sous-régionale ;
Considérant les vives inquiétudes exprimées par des chefs d’états et de gouvernements, la CEDEAO, l’Union Africaine, l’Union Européenne, les États Unis d’Amérique, plusieurs organismes internationaux et ONG des Droits de l’homme contre l’aggravation de la situation sociopolitique; lesquelles inquiétudes ont abouti à une mission en Côte d’Ivoire du Représentant des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) les 27 et 28 juin 2020 suivie d’une mission conjointe CEDEAO/UA/Nations Unies du 4 au 7 octobre 2020 ;
Considérant que seules des élections présidentielles inclusives, justes, transparentes et apaisées pourront clore la longue période d’instabilité que connaît la Côte d’Ivoire depuis 1999, et ainsi régler le problème latent de régimes autoritaires de présidents africains à vie et donc prévenir en amont plutôt que régler en aval les conflits électoraux ;
Considérant que depuis 2018, l’opposition significative a lancé plusieurs appels au parti au pouvoir pour un dialogue participatif sur le processus électoral ; considérant que ces appels n’ont pas été entendus ;
S’appuyant sur les dispositions du chapitre 2, article 4 du Traité fondateur de la CEDEAO en matière de sécurité et de stabilité des États membres, mais également en matière de promotion d’un climat démocratique et de la sécurité des peuples ;
« Justice for Africa » demande à la CEDEAO, à l’UA et aux Nations Unies de prendre de toute urgence les mesures idoines y compris des mesures contraignantes pour emmener les parties au dialogue et éviter une escalade irréversible de la violence. Par conséquent, La Coalition demande le report de l’élection présidentielle du 31 Octobre 2020 à une date ultérieure pour prévenir une crise grave à ce pays dont la stabilité est encore précaire et garantir ainsi un consensus autour des élections présidentielles.
Fait, le 20 octobre 2020
Dr Jeffrey BALCH, Directeur exécutif Contact : info.justice4africa@gmail.com