Alors que l’opposition appelle à l’union contre Alassane Ouattara, le Premier ministre, Hamed Bakayoko, monte au créneau. Défendant le bilan et le projet de son camp, il appelle à une élection apaisée le 31 octobre.
Hamed Bakayoko, 55 ans, est avec Patrick Achi, le secrétaire général de la présidence, l’une des pierres angulaires du système Ouattara. Un homme sur tous les fronts : nommé Premier ministre le 30 juillet, quelques semaines après le décès d’Amadou Gon Coulibaly, son prédécesseur et le candidat désigné du Rassemblement des houphouëtistes pour
la démocratie et la paix (RHDP) pour la présidentielle du 31 octobre, il a conservé son poste de ministre de
la Défense, portefeuille sensible par les temps qui courent, il est maire de la commune populaire d’Abobo et demeure un maillon essentiel du dispositif de la campagne d’Alassane Ouattara.
Dans un contexte particulièrement tendu, alors que s’est créé un front hétéroclite de l’opposition qui s’est
trouvé un dénominateur commun dans un « Tout sauf Ouattara » qui rappelle de sombres heures, « Hambak
» nous a reçu, dans son bureau de la primature, en cette fin septembre où la Côte d’Ivoire semble sur le
fil.
Il a répondu à nos questions, en fidèle lieutenant de son chef, sûr de son camp, soucieux de remplir une
mission particulièrement délicate. Et de remettre les pendules à l’heure dès qu’il s’agit des anciens alliés
du RHDP. Entretien.
À quelques semaines de l’élection présidentielle, le climat politique s’est tendu, notamment depuis le 20 septembre et les appels à la désobéissance civile ou à manifester lancés par l’opposition. Êtes-vous inquiet ?
Mon rôle n’est pas de m’inscrire dans une émotion quelconque mais de rassurer les Ivoiriens, d’organiser avec le gouvernement des élections transparentes et apaisées. C’est tout le sens des concertations que nous avons eues avec la classe politique, la jeunesse de Côte d’Ivoire et le patronat. Je suis confiant : nos compatriotes ne veulent plus de troubles et sont au travail.
Avec les nombreuses opportunités offertes aujourd’hui par le gouvernement, notamment au niveau du secteur agricole, des programmes emplois jeunes et de l’autonomisation des femmes, les Ivoiriens sont concentrés sur l’amélioration de leur quotidien. C’est pour cela que les mots d’ordre que vous évoquez sont très peu suivis.
Le Conseil constitutionnel a validé les candidatures d’Alassane Ouattara, d’Henri Konan Bédié, de Pascal Affi N’Guessan et de Kouadio Konan Bertin, mais a rejeté celles de Laurent Gbagbo, de Guillaume Soro, d’Albert Mabri Toikeusse ou de Marcel Amon-Tanoh. Que répondez-vous à ceux qui dénoncent une décision politique ?
L’arrêt du Conseil constitutionnel est précis et longuement argumenté. Il n’a aucune dimension politique. Je n’ai vu que des arguments de droit. Il est temps que l’ensemble des acteurs s’inscrivent dans le respect de nos institutions, a fortiori quand la plupart d’entre eux ont occupé par le passé de hautes fonctions dans la République.
L’opposition critique la composition de la Commission électorale indépendante [CEI], du Conseil constitutionnel, et même le code électoral. Les conditions d’une élection libre et transparente vous semblent-t-elles réunies ?
Cette CEI est la plus équilibrée que la Côte d’Ivoire ait jamais eue. Sous Bédié, les élections étaient
organisées par le ministère de l’Intérieur, qui était une émanation du président-candidat. Sous Gbagbo,
les représentants du gouvernement et des institutions étaient majoritaires.
LE PRÉSIDENT A PRIS UNE DÉCISION DIFFICILE ET COURAGEUSE, DANS L’INTÉRÊT DU PAYS
C’est la première fois, dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, que le pouvoir est minoritaire dans la commission électorale, avec une présence accrue de la société civile et des autres partis politiques. Et, si je puis me permettre, on ne gagne pas une élection à la commission électorale, sinon Gbagbo aurait été élu en 2010…
La décision d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat, alors qu’il avait annoncé qu’il passerait le témoin à une nouvelle génération, a suscité la polémique. L’opposition exige même le retrait de sa candidature…
Le président a pris une décision difficile et courageuse, dans l’intérêt du pays. Entre la crise au Mali et les attaques terroristes menées ici ou là, la Côte d’Ivoire se trouve dans un environnement régional sensible. Sans compter le Covid-19, dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences économiques notamment.
Dans ce contexte, il fallait garantir la stabilité de la Côte d’Ivoire, pour que nous ne subissions pas un
choc supplémentaire qui vienne annihiler les acquis de ces dernières années.
Vous-même, vous auriez pu estimer, comme d’autres cadres du RHDP, qu’il vous revenait de représenter cette formation après le décès d’Amadou Gon Coulibaly…
Être candidat à la présidence de la République n’est ni une décision qui s’improvise en quelques semaines ni le fait d’une ambition personnelle. Ce doit être un projet collectif, porté par une équipe et une famille politique.
Prenez l’exemple du RHDP : tous ceux qui l’ont quitté sous prétexte qu’ils n’ont pas été choisis pour briguer
la magistrature suprême auraient pu, au nom de l’intérêt général, se réunir autour d’un candidat. Mais ils sont tous restés dans une démarche individuelle.
Ce n’est pas mon cas. Je ne m’inscris pas dans un projet qui se résume à des ambitions personnelles, mais dans un projet qui va bien au-delà.
La population ivoirienne est très jeune, n’aspire t- elle pas à voir une nouvelle génération diriger ce pays ?
Cette transition générationnelle est en marche : je suis un Premier ministre de 55 ans, beaucoup de ministres de mon gouvernement ont la trentaine ou la quarantaine – ce n’est pas anecdotique, bien au contraire. Il nous appartient de conduire les affaires de l’État en imprimant justement la marque et la vision des nouvelles générations.
Quel bilan faites-vous des deux mandats d’Alassane Ouattara ?
Il est excellent, de l’avis général. Il suffit d’examiner les indicateurs macro-économiques. Ce n’est pas
courant une telle unanimité des institutions internationales ou des instances d’évaluation des
pays.
La Côte d’Ivoire enregistre depuis l’élection d’Alassane Ouattara de solides performances économiques, avec
un taux de croissance moyen d’environ 8 % sur la période 2012-2019. Le revenu réel par tête a fortement progressé [+ 36,4 %] et l’inflation a été contenue en dessous de 3 %, soit le seuil maximal fixé au sein de l’Ueoma. Ces performances traduisent la bonne exécution des plans de développement et la mise en oeuvre d’importantes réformes structurelles.
NOUS AVONS FAIT SORTIR ENVIRON 4 MILLIONS DE PERSONNES DE L’EXTRÊME PAUVRETÉ
Nous avons inversé de façon significative, et ce pou la première fois, la courbe de la pauvreté, qui était en hausse depuis 1985. Ce taux a baissé de 15,6 points, passant de 55 % en 2011 à 39,4 % en 2018. Cela représente environ 4 millions de personnes qui sont sorties de l’extrême pauvreté. Le taux d’électrification, lui, est passé de 33 % en 2011 à
près de 74 % en juin 2020.
Notre pays dispose désormais de 1100 localités desservies par l’hydraulique urbaine contre environ 700 en 2011. Dans le domaine de la santé, plus de 850 centres de premier contact ont été construits ou réhabilités, de même que 78 hôpitaux généraux. Plus de 33 000 salles de classes de primaire et de préscolaire ont été construites, contre seulement 11 000 au cours de la décennie précédente.
L’indice de sécurité s’est nettement amélioré. Il est aujourd’hui de 1,2 contre 3,6 au sortir de la crise en 2011. La réforme du secteur de la sécurité donne de bons résultats, la lutte contre le terrorisme est efficace. Aujourd’hui, nous projetons des troupes au Mali et dans d’autres pays.
Au-delà de ces aspects, je peux vous citer le repositionnement diplomatique et international de la Côte d’Ivoire avec notre mandat au Conseil de sécurité de l’ONU, le retour de la BAD et de bien d’autres institutions régionales à Abidjan. Il faut vraiment être malhonnête pour nier les résultats obtenus depuis 2011.
Quelle est la matrice du projet qu’Alassane Ouattara et votre parti présentent aux Ivoiriens pour le 31 octobre ?
Tout d’abord, c’est le maintien de la paix et de la sécurité, pour que l’environnement attractif de notre économie soit pérennisé. Ensuite, le président a déjà décliné ses priorités quant à la transformation structurelle de notre économie.
Aujourd’hui, nous sommes un grand pays exportateur de matières premières. Notre objectif est d’accroître notre taux de transformation au niveau local en vue de bénéficier d’une plus grande valeur ajoutée de nos filières agricoles. Avec l’appui du secteur privé, la Côte d’Ivoire compte atteindre un taux de première transformation de toutes ces matières premières agricoles d’au moins 50 % en moyenne à un horizon proche.
Nous sommes déjà bien lancés dans certains domaines, comme l’anacarde et le cacao. L’enjeu est de rendre la croissance plus inclusive en créant davantage d’emplois pour nos jeunes. Il faudra donc créer les conditions pour avoir des investissements compétitifs dans le secteur de l’agro-industrie. Nous avons créé des zones industrielles, trois grands pôles qui vont permettre d’accroitre les investissements du secteur privé et donner des emplois à la jeunesse ivoirienne.
Il est donc fondamental de transformer structurellement l’économie du pays grâce à l’industrialisation. Il faut veiller à bien cibler les segments vecteurs de croissance inclusive et travailler à faire émerger des champions nationaux dans ces secteurs.
J’ATTENDS TOUJOURS LE PROJET DE BÉDIÉ, SON AMBITION POUR LA CÔTE D’IVOIRE DE DEMAIN
Personne ne conteste l’évolution du pays et la production de richesse sur la dernière décennie. Les critiques portent plutôt sur la répartition de cette richesse…
Le chef de l’État, qui est un économiste de grande renommée, a fait le choix de miser sur des secteurs producteurs de richesse. Les retombées sont de plus en plus concrètes pour la population. Le président a d’abord privilégié l’investissement dans les infrastructures, la santé, l’éducation. En Côte d’Ivoire, malgré le Covid-19, le baccalauréat a été maintenu,
avec un taux de réussite de 40 % contre 41 % l’année précédente, et le pays comptera bientôt neuf universités – contre trois en 2010. C’est un vrai investissement à long terme dans le développement humain.
Alassane Ouattara versus Henri Konan Bédié, deux des trois ténors de la vie politique depuis le décès d’Houphouët qui se retrouvent face à face… C’est le dernier round de la guerre des éléphants ?
Ils n’ont pas du tout le même profil. Le président Bédié n’a jamais connu la compétition alors qu’Alassane Ouattara s’est battu toute sa vie : d’abord pour être candidat, puis pour arracher la victoire à Laurent Gbagbo. Ensuite il a un bilan, il a géré ce pays et lui a fait connaître une vraie transformation.
Le président Bédié, lui, est le représentant d’un ordre ancien. Et puis j’attends toujours son projet, j’attends
son ambition pour la Côte d’Ivoire de demain. Comme je le dis souvent à mes compatriotes : la revanche
n’est pas un projet de société.
Que faire avec Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, les deux principaux cas qui crispent
l’atmosphère politique ivoirienne actuellement ?
Je souhaite que nous puissions tous nous inscrire dans un processus de réconciliation, dans le respect de la justice. Le président Ouattara a pris de nombreuses initiatives en ce sens, il a conclu une amnistie. Aujourd’hui, il multiplie les appels. Le vrai problème, c’est que les gens confondent la réconciliation des politiques avec la réconciliation des
populations.
J’INVITE LES CANDIDATS À FAIRE CAMPAGNE EN RESPECTANT LES RÈGLES DU JEU
Quelles sont vos priorités en tant que nouveau chef du gouvernement ?
Ma priorité est d’organiser des élections apaisées et sécurisées. J’invite les candidats à faire campagne en respectant les règles du jeu. Il faut que chacun garantisse la sécurité et la liberté de mouvement de tous les candidats. Que chacun puisse promouvoir son projet et sensibiliser les Ivoiriens, que la commission électorale puisse communiquer les résultats avec la contribution de tous les observateurs qui souhaiteraient venir. La Côte d’Ivoire est un pays
ouvert et démocratique, nous n’avons rien à cacher.
Vous multipliez les réunions et les rencontres avec les jeunes ou le patronat. Quel message entendez-vous leur transmettre ?
Je veux dire aux jeunes que ma nomination est une opportunité pour leur génération, que le gouvernement a des projets pour eux. Il ne faut pas qu’ils se laissent manipuler par les politiques, car je le dis et je le répète : quand les politiques se retrouvent pour passer leurs accords, ils n’associent pas les jeunes.
Je me suis moi-même forgé dans le mouvement étudiant et associatif, et je tiens à leur dire ma disponibilité pour les accompagner. J’ai la même histoire que tous ces jeunes et nous pouvons avoir le même destin.
Et aux chefs d’entreprise du secteur privé ?
C’est un partenariat renforcé que je souhaite établir. Je connais les réalités et les contraintes du secteur privé. Nous avons choisi un modèle de société basé sur l’économie de marché, donc le gouvernement doit mettre en place un cadre incitatif et attractif pour l’investissement, la sécurité, le développement du capital humain, l’éducation et la santé. Le secteur privé doit être le moteur de la croissance de notre économie.
JEUNE AFRIQUE