Aussi minimes qu’ils puissent paraître, les récents accrochages survenus entre éléments des Forces spéciales et des agents de la Police nationale constituent des symptômes nouveaux du gros malaise qui prévaut au sein de l’Armée ivoirienne.
C’est à croire que les flics de la Préfecture de police d’Abidjan attendaient au tournant leurs frères d’armes des Forces spéciales. Certes, le caractère cavalier de la visite des jeunes militaires était de nature à fouetter l’orgueil des fonctionnaires de police, mais la virulence avec laquelle certains d’entre eux étaient prêts à en découdre avec ces soldats, a montré un certain écœurement vis-à-vis de ces visiteurs, et au-delà, vis-à-vis de l’unité à laquelle ils appartiennent. C’est le constat que l’on fait tout de suite en regardant les images de cette scène (qui a d’ailleurs fait le tour de la toile), où des militaires désarmés et privés de leurs gilets pare-balle par des agents de police dont des femmes, sont alignés dans un couloir, assis à même le sol comme de vulgaires bandits, et filmés. Dans ces images, on aperçoit chez les policiers non seulement une volonté de laver un affront, mais aussi une détermination à défendre la dignité et l’honneur d’une corporation parfois rabaissée par les autres corps de l’Armée. Les maîtres des lieux ont certainement vu dans cette descente de leurs jeunes frères d’arme, la manifestation du mépris et du complexe de supériorité qui pourrait animer particulièrement ces membres d’une unité chouchoutée par les autorités du pays qui la présentent comme la force du « dernier recours ». Manifestement, l’attitude du commando des Forces spéciales qui espérait repartir, sans une autre forme de procédure, avec leur camarade interpellé lors d’une rafle, et l’humiliation qui leur a été infligée par les policiers, montrent ce dédain qui habite certains hommes en treillis pour d’autres, et le sentiment d’injustice et la frustration qui a envahi certains, dans une même armée. C’est certainement consciente de ce manque d’harmonie aux conséquences imprévisibles, que la hiérarchie militaire a urgemment entrepris une tournée conjointe dans les différents commandements. Les hauts gradés sont allés rappeler aux troupes que tous les corps de l’Armée tous importants les uns autant que les autres, et que c’est ensemble qu’ils devront faire face à tout péril devant lequel se trouverait la Nation. Cette campagne express suffira-t-elle à créer une vraie fraternité d’arme et une solidarité au sein de notre Armée ? L’incident de la Préfecture de police et d’autres qui l’ont suivi, à savoir l’irruption d’éléments des Forces spéciales dans centre de composition d’élèves policiers, ou même la mystérieuse attaque d’un commissariat de police à Yamoussoukro par un commando non encore identifié, constituent, en effet, de nouveaux signes d’un malaise profond.
Ces évènements et les commentaires qu’en font des officiers que nous avons interrogés, viennent s’ajouter à une situation de méfiance qui prévaut par ailleurs entre membres de mêmes corps. Une méfiance aux relents politiques, née à la faveur de la crise postélectorale, et que huit années de stabilité n’ont pas encore permis d’effacer. Certains de nos interlocuteurs regrettent aussi l’existence de clivages liés à des guerres de clans, conséquences de suspicions de tous genres des hautes autorités vis-à-vis de certains officiers et sous-officiers aujourd’hui stigmatisés et harcelés. Et ce climat explosif prévaut dans une ambiance marquée par des conditions de vie et de travail difficiles que nous avons décrites dans des reportages précédents réalisés dans les camps d’Akouédo, de Bouaké…, des grincements de dents autour des avancements, une mise œuvre parcellaire de la loi de programmation militaire. Autant de grands maux de la grande muette qui nécessitent un traitement plus profond.
Cissé Sindou