Trajet Dokui-Azur – Adjamé : les usagers vivent un véritable enfer au quotidien





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Sur la ligne Dokui Azur -Adjamé Liberté, c'est une véritable jungle



Adjamé, carrefour stratégique de la capitale économique ivoirienne, est le passage presque obligatoire pour tous ceux qui souhaitent se rendre dans une autre commune du district d’Abidjan. Mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne en ce qui concerne le moyen de transport. Sur la voie reliant Abobo Azur à Adjamé Liberté, les passagers doivent faire face à une indiscipline généralisée qui marque ce trajet. Mauvaise conduite, manque de courtoisie, injures envers les passagers, les piétons et autres automobilistes, tout semble permis. Dans la peau d'un passager, nous avons pu nous en rendre compte.

En provenance du quartier d’Angré, dans la commune de Cocody, nous décidons de nous rendre à Adjamé en passant par le Plateau-Dokui. Il est environ 10 h du matin lorsque nous montons à bord d’un taxi communal, communément appelé wôrô wôrô, au niveau du 22e arrondissement. Assis à la droite du conducteur, nous faisons plusieurs escales pour prendre ou déposer des passagers, avant d’arriver à notre destination. Deux pièces de 100 FCFA partent de notre main à celle du taximètre pour régler la course.

Arrivés au carrefour Azur, un jeune homme nous hèle en répétant sans cesse : « Liberté ! Adjamé Liberté ! ». Vêtu d’un maillot délavé et d’une culotte en jean, chaussé des fameuses lêkê (chaussures en plastique prisées par la jeunesse ivoirienne), il s’agit d’un apprenti gbaka, également appelé balanceur. Il nous dirige vers un minicar blanc, déjà occupé par plusieurs passagers. À 10h15, nous prenons enfin la direction d'Adjamé. Le véhicule avance lentement, multipliant les arrêts pour récupérer de nouveaux clients. Le temps semble interminable à mesure que le gbaka attend encore d’autres passagers. Mais au début du trajet, tout semble se dérouler normalement : les passagers montent et descendent sans incident.

Cependant, à l’approche du carrefour Bandji, les choses commencent à se compliquer. Comme à l’habitude, des embouteillages se forment dans cette zone, en raison du flux important de véhicules et du mauvais état des routes, notamment au carrefour Vidange. Une femme, assise dans le gbaka pousse un soupir avant de déclarer : « humm ! C’est toujours comme ça ici. Même les policiers ne contrôlent rien avec tout ce désordre », explique cette jeune dame à la peau claire, tout en s’installant dans le « salon » du gbaka, les six places à l’arrière du véhicule, où trois passagers font face à trois autres.

L'indiscipline pour arriver vite

À peine avons-nous le temps de réfléchir sur les propos de cette dame qu’un autre minicar, de couleur jaune, nous dépasse en roulant sans gêne sur le trottoir, suivi par une ribambelle de véhicules. Des motos se joignent également à la danse. Apparemment, tout le monde semble pressé, mais chacun finit par aggraver l'embouteillage. C’est donc à pas de tortue que nous parvenons à franchir ce carrefour et à poursuivre notre route en direction de l’Hôpital Militaire d’Abidjan (HMA).

L'apprenti ferme la portière du gbaka et réclame le transport : « zoo, Paillet, 200 F, Liberté 300 F ». Chaque passager s’exécute. C’est à ce moment qu’il ajoute, avec un sourire en coin : « avec la monnaie ? ». Un client, déstabilisé, demande à son voisin s’il a de la monnaie. Derrière nous, une femme âgée, son sac posé sur le ventre, s'exclame : « j’espère que nous allons bien arriver à Adjamé. Vous, c’est votre travail qui est là », tout en remettant son paiement. En effet, il est souvent reproché aux gbakas de ne pas parvenir à destination lorsque des embouteillages surviennent, bien qu’ils aient encaissé la totalité du tarif.

Il est environ 10h40 lorsque nous atteignons le zoo. L'apprenti continue de faire monter et descendre les passagers jusqu’au carrefour Paillet, à Adjamé. Là, certains commencent à réclamer leur monnaie. La réponse de l’apprenti : « j’arrive, je n’ai pas la monnaie », dit-il, comme si cela suffisait à calmer l'irritation des passagers.

Le manque de courtoisie, la chose la mieux partagée par les apprentis et les chauffeurs

À peine avons-nous quitté le carrefour Paillet que nous entrons dans un autre embouteillage. À notre droite, un autre gbaka emprunte la voie réservée aux piétons, roulant à vive allure. Lorsqu’un piéton se plaint, l’apprenti lui rétorque : « il ne faut pas libérer la voie. Tu vas voir si tu seras encore là pour parler. C’est parce qu’on a klaxonné que tu parles ».

À gauche, un motard fonce en sens inverse, transportant une multitude de sachets plastiques, probablement des colis à livrer. Et pour couronner le tout, notre gbaka prend également le trottoir, sous les encouragements de son apprenti. Ce dernier, loin de se sentir gêné, effectue même des figures acrobatiques sur la portière.

À l'arrière, une femme, furieuse, réagit vivement : « à quoi pensez-vous ? Ici c’est le trottoir. Allez doucement, vous allez finir par jeter quelqu’un dans les caniveaux. Vous pensez que ce sont des chiens qui sont dans le gbaka ? Respectez les gens un peu ! ». Énervé, le chauffeur lui répond : « si tu es trop fâchée, tu descends de mon camion. Tu es derrière et tu parles ». Un échange tendu s’en suit, et un jeune garçon à notre droite intervient : « chauffeur, il ne faut pas l’écouter, il faut conduire, on va arriver. Elle n’a pas raison ! », déclenchant la réprobation des autres passagers : « c’est vous qui les encouragez à tuer les gens ! » Notre voisin de gauche prend alors la parole : « tout ça, c’est la faute du gouvernement. Les autorités font semblant de ne rien voir. Chaque jour, ils prennent des décisions mais rien ne change. C’est parce qu’ils n’osent pas frapper l’un d’eux en public qu’ils continuent. »

À notre grande surprise, le chauffeur tourne au carrefour des Deux-Plateaux, changeant de route avant le terminus. « Il a rasé », comme ils disent dans leur jargon. Il est alors 10h55, et nous voici le long de la route. L’apprenti, au centre, encerclé par nous les passagers, tente de se justifier : « c’est parce que devant, c’est gâté, il y a des affrontements à la machette ». Bien sûr, personne ne le croit.

Un passager très remonté, l’interroge : « les gbakas qui continuent le trajet sont-ils anti-fer ? Donne-moi mon argent, je vais descendre, faut pas m’énerver », lance un jeune élève. À côté, une dame en colère exige : « donne ma monnaie et mets-moi dans un gbaka ! Est-ce qu’on est à Adjamé-Liberté ici ? »

Finalement, pour éviter un affrontement dans lequel il n’est pas sûr de sortir vainqueur, l’apprenti nous fait monter dans un autre gbaka en direction de Liberté et s’éloigne comme si de rien n’était. Et là encore, nous avons de la chance : d’autres minicars ont abandonné leurs passagers en cours de route. Chacun se débrouille pour atteindre sa destination.

Après ce long périple, nous arrivons enfin à Adjamé vers 11h, épuisés mais soulagés. Pourtant, cette expérience laisse un arrière-goût amer. Entre embouteillages interminables, désordre routier et mépris pour la sécurité des passagers, ce trajet quotidien est un véritable parcours du combattant. Et pourtant, pour de nombreux Abidjanais, cette galère fait partie de leur routine, leur quotidien. Une réalité qu’ils affrontent chaque jour sans autre choix.

DK

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