C’est moins le sacre continental des Eléphants à la CAN 2023 que les propos d’Alassane Ouattara qui nous ont mis la puce à l’oreille. Lisons le chef de l’Etat, s’adressant aux pachydermes ivoiriens, au lendemain de leur historique victoire sur le Onze nigérian. « Oui, vous aussi, [vous avez créé quelque chose] ! Vous avez créé une étincelle de patriotisme, de fierté et de cohésion. Vous avez réussi à réunir les Ivoiriens en un seul peuple ; à faire en sorte qu’avant toute chose, nous soyons ivoiriens d’abord. Merci à vous ».
Nous sommes le mardi 13 février 2024. Devant les caméras du monde entier, le président de la République de Côte d’Ivoire rend un hommage appuyé au sport, plus particulièrement au football, pour avoir réussi ce que les politiques tentent depuis des siècles sans jamais y parvenir. Lisons-le, encore, dans sa confession publique : « Nous avons appris une leçon primordiale, que j’essaie de construire depuis 13 ans maintenant, c’est que nous devons nous faire confiance ».
Avouons-le. De même que la fraîcheur de l’eau qui sort de la bouche d’un crapaud est incomparable, de même il n’y a pas meilleure reconnaissance du rôle de rassembleur du football que celle qui sort de la bouche d’un homme politique. Et pas n’importe lequel ! un chef d’Etat. Ainsi donc, honnêteté oblige, le chef de l’Etat ivoirien reconnaît que depuis treize ans qu’il est parvenu au pouvoir, il n’a pas réussi à construire l’unité nationale, laquelle se bâtit sur la confiance que les uns ont dans les autres.
Curieusement, en seulement un mois, le foot a fait plus que créer la confiance chez les uns et les autres. Il les a unis, à la même table, devisant, partageant le même repas, les mêmes souvenirs, criant ensemble, se lamentant ensemble et s’arrachant ensemble les cheveux lorsque les Eléphants vendangeaient des occasions de but. C’est fort, dit le comédien. Et si les hommes politiques allaient, tous, à l’école du foot pour apprendre à unir et épargner ainsi à leurs populations des scènes de vie aussi dramatiques que la famine, les rébellions armées, les guerres fratricides ?
Même si c’est sur le tard, Alassane Ouattara semble avoir fait sien cet adage populaire qui, de façon séculaire, nous secoue le tympan : « Mieux vaut tard que jamais ». Témoin oculaire de ce miracle unitaire toujours recherché pour son pays, il a dû s’en vouloir de n’avoir pas eu une approche holistique de la question de l’unité. Et, comme pour montrer qu’il apprend vite, il s’est mis aussitôt à l’école du foot pour en tirer le socle de son développement. Il a compris que pour rassembler, pour créer l’unité et la confiance, il suffit de rien. Il faut pardonner, se mettre au-dessus de la mêlée, se dire qu’on ne peut être devant sans être critiqué, sans être cloué au pilori dans ses actes, sans être continuellement offensé. Parce que c’est le prix à payer pour créer « miraculeusement » la confiance chez ses administrés.
C’est ce même prix que payent les footballeurs, où qu’ils soient. Injuriés à tout bout de champ, malmenés, maltraités, humiliés pour peu qu’ils connaissent une baisse de forme, ou qu’ils baissent pavillon devant plus fort qu’eux, ils acceptent tout de même de subir sans changer leur objectif : donner du plaisir, créer la fraternité. En faisant le choix de joindre l’acte à la parole pour libérer de nombreux prisonniers des événements politiques qui ont secoué le pays en des circonstances différentes, Alassane Ouattara donne la preuve que ceux qui ont décidé de faire du football un sport de rassemblement et d’unité ont fait œuvre utile.
Il n’y a qu’à parcourir quelques pages de l’histoire de la Côte d’Ivoire pour s’en convaincre davantage. Pour appeler à oublier et à faire la paix avec le colonisateur qui, en février 1949, a déclenché une série de répressions sauvages sur les militants du PDCI-RDA, c’est au stade Géo-André d’Abidjan, actuel stade Houphouët-Boigny, que le premier responsable de ce parti a rassemblé ses compatriotes le 6 octobre 1951. C’est encore dans ce même stade de football que le 7 septembre 1958, le même Houphouët-Boigny, au cours d’un discours solennel, a demandé à tous de le rejoindre au sein du PDCI-RDA pour former un parti unique dont l’objectif, assurera-t-il, est de créer l’union des fils du pays, de faire la paix afin d’aller à la construction de la Côte d’Ivoire.
C’est tout dire. Les grands moments de paix et d’unité ne vont pas sans le coup de pouce du sport et singulièrement du football. Pour les politiques qui ne le sauraient pas encore ou qui, par pudeur, n’osent pas poser la question, eh bien, l’école de la paix du foot n’est pas payante. Et même l’inscription est gratuite.
Abdoulaye Villard Sanogo