Gbagbo salue les mesures prises pour honorer la mémoire de Bédié et dit non à une intervention militaire au Niger





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L’ancien président Laurent Gbagbo s’est adressé, ce lundi 7 août 2023 à la nation à la faveur de la commémoration du 63e anniversaire de la Côte d’Ivoire.

Dans son message lu par le porte-parole du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), Justin Koné Katinan, face à la presse, Laurent Gbagbo salue les mesures prises par le président de la République Alassane Ouattara en l’honneur de la mémoire du président Henri Konan Bédié, décédé le 1er août.

Il est revenu sur le coup d’Etat intervenu au Niger. Tout en condamnant ce putsch, il dit être contre l’option militaire envisagée par la CEDEAO.

Ci-dessous, l’intégralité de son adresse

- Mes chers compatriotes

- Mesdames et messieurs les journalistes ;

- Mesdames et messieurs qui nous écoutez à travers les divers canaux des médias sociaux.

Aujourd’hui, notre pays célèbre le 63ème anniversaire de son accession à la souveraineté. Depuis mon départ du pouvoir, guidé en cela par mon respect pour les valeurs républicaines, j’ai toujours refusé de m’adresser à la nation. En effet, je juge qu’il appartient au Président en exercice de s’adresser à la nation le jour de l’indépendance quitte à ce que son message soit critiqué par l’opposition.

Cependant, le contexte dans lequel se célèbre le 63ème anniversaire de l’indépendance de notre pays m’oblige à déroger à cette règle que je m’étais imposée.

En effet, deux faits majeurs déterminent le contexte de la journée marquant la célébration de notre indépendance. Il s’agit du décès du Président Henri Konan Bédié et de la situation très critique au Niger.

Le 1er août dernier, le Président Henri Konan Bédié, ancien président de la République de Côte d’Ivoire et Président du PDCI-RDA est décédé de façon brutale. La soudaineté de son décès continue d’émouvoir, sans distinction, toute la population ivoirienne. Comme je l’ai déjà fait, d’abord dans un communiqué que j’ai fait publier à l’annonce de cette triste nouvelle, puis lors de la visite de compassion que j’ai rendue au domicile de mon aîné, je renouvelle mes condoléances les plus émues à madame Henriette Konan Bédié, aux enfants Bédié, à la grande famille Bédié et alliées, aux militantes, militants du PDCI-RDA et à l’ensemble de la nation ivoirienne.

J’en profite pour saluer à leur juste valeur les mesures prises par le président de la République en l’honneur de la mémoire de l’illustre disparu. En effet, l’observation de 10 jours de deuil national et l’annulation des festivités marquant le 63e anniversaire de l’indépendance de notre pays et bien d’autres activités conviennent à la circonstance du moment.

Le Président Henri Konan Bédié a été un homme politique de premier plan qui a marqué la vie de la nation. Il mérite la reconnaissance de celle-ci et je me félicite que le président de la République ait donné corps à cette reconnaissance.

Cependant, je regrette que le président de la République n’en ait pas profité pour satisfaire l’une des demandes maintes fois formulées, de son vivant, par le Président Henri Konan Bédié, à savoir la création d’un contexte favorable pour solder définitivement le passif des deux dernières décennies marquées par de graves crises politiques. Il est de notoriété que le Président Henri Konan Bédié a régulièrement demandé la libération des prisonniers de la crise post-électorale de 2011 et ceux de la crise du « troisième mandat », partageant totalement mon opinion sur cette question.

Il convient de rappeler qu’à ce jour, neuf membres des forces de défense et de sécurité (FDS), qui ont défendu la République en 2011, sont encore en prison, douze ans après la fin de le crise post-électorale. Ce sont :

Pour l’armée de terre :

Dogbo Blé Bruno

Aby Jean

Ohoukou Mody Léopold

Gnatoa Kadet Paulin

Kipré Yagba

Toh Ferdinand

Pour la marine nationale

Ourigou Bawa Félicien

Pour la gendarmerie nationale

Séka Yapo Anselme

Pour la police :

Osée Loguey

Quel que soit ce qui est reproché à ces personnes, l’absence de mesure de clémence à leur endroit, doublée de l’omission de poursuites contre les personnes réputées proches du régime en place, malgré les faits graves dont ils sont suspectés, risque de transformer leur sanction correctionnelle en sanction de vengeance. Toute chose qui dénature même le sens de la correctionnelle dans une République. Par ailleurs, en Afrique, c’est dans les circonstances de deuil particulièrement douloureux que la société se regroupe pour expurger de son sein les effets pervers des différents antagonismes afin d’amorcer un nouveau départ. Le maintien en prison des militaires ainsi que les civils, ces derniers emprisonnés avant et suite à la crise née du troisième mandat, prolonge le souvenir du passé douloureux de notre nation et entretient un antagonisme permanent qui ne favorise pas la réconciliation nationale. C’est bien la persistance, dans la conscience nationale, des effets des différentes crises de ces deux dernières décennies, qui nourrit les peurs et le pessimisme de ceux de nos compatriotes qui sont en exil. La fin proclamée du statut de réfugié à nos compatriotes ne peut cacher la réalité indiscutable que beaucoup de nos concitoyens continuent de vivre hors de notre pays suite aux différentes crises politiques.

Le décès, en exil au Togo, de monsieur Amédée Couassi Blé, ancien Secrétaire Général de la présidence de la République, en constitue la parfaite illustration. Chaque fois que le gouvernement élargit un prisonnier ou facilite le retour de nos compatriotes encore en exil du fait des crises politiques, il œuvre au renforcement de la cohésion nationale. C’est pourquoi, je me félicite du retour des artistes Gadji Celi, Serges Kassy et François Kency. Je continue d’appeler la libération de tous les prisonniers militaires et civils. Je pense, en ce qui concerne les derniers, à Monsieur Souleymane Kamagaté dit « Soul To Soul » et ses amis. 

J’appelle ici encore le retour rassuré de nos compatriotes encore en exil. A ce propos, je persiste à croire qu’il n’est pas bon pour l’image de notre pays que l’ancien Premier ministre Soro Guillaume soit toujours en exil.

Le second sujet qui détermine le contexte dans lequel se célèbre le 63ème anniversaire de notre indépendance est incontestablement la situation préoccupante qui prévaut au Niger.

J’affirme d’emblée mon opposition, du reste connue depuis belle lurette, à toutes les formes de coup d’Etat, qu’ils soient militaire ou civil. Les manipulations des Constitutions pour se maintenir au pouvoir ne sont possibles que parce que les auteurs s’appuient sur la force brutale des armées pour faire prospérer leur entreprise. De ce point de vue, même si les modes opératoires sont distincts, le mécanisme de prise ou de conservation de pouvoir repose, dans les deux cas, sur le même principe de base : l’usage de la force.

Je condamne donc la prise de pouvoir par les armes au Niger. Elle porte atteinte à la démocratie dont je reste un fervent défenseur.

Toutefois, les mesures de rétorsion inédites prises contre le peuple nigérien, dont certaines jurent avec le droit international privé ou public, sont inacceptables. Le recours à la violence envisagé par la CEDEAO me paraît être la pire des solutions à cette crise. S’il est constant, dans la culture africaine, d’aider à éteindre le feu qui consume la case du voisin, la sagesse recommande de ne pas y asperger un liquide inflammable au risque d’aggraver l’incendie. Je dénonce ces mesures en ce qu’elles ne font qu'aggraver la situation de précarité du peuple frère du Niger. La dépendance des pays de l’hinterland aux ports des pays côtiers ne peut constituer une arme politique contre eux. Autrement nous mettrons en péril la solidarité entre les peuples frères de la CEDEAO.

Je dénonce par-dessus tout le recours à la guerre pour résoudre cette crise.

Le peuple nigérien comprendrait difficilement que les pays frères de l’espace CEDEAO aient pu lever une armée pour venir combattre l’armée nationale de leur pays alors que celle-ci fait face au terrorisme depuis une décennie, sans le concours direct d’aucune armée de la sous-région. Cela risque de constituer un fâcheux précédent dans l’histoire de notre organisation sous-régionale. Les divergences notables qui se dégagent entre les différents Etats membres de la CEDEAO sur cette question constituent, en elles-mêmes, la plus grande menace contre la survie de celle-ci. Dans le contexte actuel de batailles géostratégiques entre puissances, le risque qu’une guerre au Niger se transforme en affrontements entre puissances étrangères au continent africain relève de la plus forte probabilité. Notre continent se remettrait difficilement d’un tel scénario. C’est pourquoi, j’en appelle à la retenue de toutes les parties pour privilégier les solutions politiques et diplomatiques.

Dans une perspective plus large, je suggère à la CEDEAO de prendre prétexte de la crise du Niger pour mener une réflexion approfondie sur les causes de la multiplication des coups d’Etat dans l’espace CEDEAO. La prolifération des coups d’Etat dans notre espace commun, souvent adoubés par les populations, nous contraint à cet exercice. Vouloir interpréter la situation nigérienne différemment des précédentes situations en Guinée, au Mali, au Burkina Faso est manifestement une fuite en avant. Dans chacun des quatre cas, l’armée a renversé un Président réputé être élu démocratiquement. Pour ma part, je comprends ces situations comme relevant d’une crise systémique due, d’une part au dévoiement de la démocratie pour laquelle la jeunesse africaine a payé le lourd tribut dans les années 90 et, d’autre part, aux mutations qui s’opèrent dans le monde. La jeunesse et les populations africaines se sentent de plus en plus désabusées par la pratique de la démocratie à laquelle elles continuent pourtant de croire. Il faut donner une réponse rassurante à leurs interrogations et autres inquiétudes. Cette réponse ne peut, en aucun cas, relever de la violence. Dans cette perspective, je formule le souhait que la CEDEAO oriente ses actions militaires prioritairement vers la lutte contre le terrorisme auquel font face les pays du Sahel de sorte à enlever tout prétexte aux armées de faire irruption dans la vie politique des pays.

Au niveau de la Côte d’Ivoire, qui fait partie des puissances sous-régionales, le recours systématique à la violence pour régler les problèmes politiques tranche avec la tradition diplomatique ivoirienne fondée sur le dialogue permanent. Notre pays doit garder cette posture qui, naguère, lui a permis de résoudre les contradictions les plus difficiles en interne comme dans des pays frères. Je relève par ailleurs que dans certains pays, l’option militaire envisagée par la CEDEAO est discutée au niveau des parlements. J’en appelle à l’esprit républicain du gouvernement ivoirien à l’effet de convoquer un débat national sur un éventuel envoi des troupes ivoiriennes pour combattre l’armée nigérienne. L’expérience douloureuse de nos soldats emprisonnés au Mali est encore fraîche dans la mémoire collective de nos compatriotes.

Que Dieu accorde le bon discernement à nous tous.

Très bonne fête de l’Indépendance.

Laurent Gbagbo

Ancien président de la République

Président du PPA-CI

P.O. Le ministre Justin Katinan Koné

Porte-parole du PPA-CI

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