Assurément, la Côte d’Ivoire est le pays de tous les paradoxes. Une grande majorité des habitants de ce pays ont la manie d’applaudir certaines choses qui se passent ailleurs mais, quand ces mêmes choses se produisent chez eux, c’est l’hystérie, la catastrophe, c’est l’apocalypse. Ils deviennent frileux et perdent tout sens de logique.
Le dimanche 12 juin, combien d’Ivoiriens n’ont pas applaudi l’élection au parlement français de l’Ivoirienne Rachel keké naturalisée, seulement en 2015. Quel Burkinabé, Malien, Guinéen ou Sénégalais peut avoir la prétention de se faire élire député en Côte d’Ivoire après avoir été naturalisé, il y a juste sept ans ? On est heureux de voir une de nos compatriotes entrer dans le Parlement des autres. On en jubile. Mais on est peu disposé pour la réciprocité. On refuse les valeurs universelles pour s’enfermer et se recroqueviller dans les comportements rétrogrades. L’intégration des peuples et des citoyens, c’est bon chez les autres, mais pas chez nous. Quel peuple sommes-nous donc pour accepter que l’une des nôtres devienne élue d’une autre nation et accepter que les gens qui sont nés ici et vivent sur le sol ivoirien depuis 30 ou 40 ans soient traités comme des apatrides sans aucun droits de citoyenneté. La performance de la Franco-Ivoirienne qui, à 48 ans, vient de donner une leçon à tous les xénophobes, doit interpeller et conscientiser la Côte d’Ivoire. Rachel Raïssa Keke est, en effet, née à Abobo où elle a grandi.
C’est à 26 ans qu’elle arrive en France et exerce comme coiffeuse dans un salon de coiffure appartenant à son oncle. En 2015, elle obtient le sésame et devient Française par naturalisation. Elle change de métier et devient femme de ménage dans un hôtel situé dans le 17e arrondissement de Paris. C’est par 177 voix qu’elle a battu son adversaire, l’ancienne ministre des Sports d’Emmanuel Macron, RoxanaMaracineanu, lors du second tour des élections législatives. Elle a gagné dans la 7e circonscription du Val-de-Marne, avec 50,3 % des suffrages. Au lendemain de son élection, elle a assumé son statut et affiché ses origines. « Je suis fière d’être Ivoirienne et je suis fière d’être noire. Je suis fière d’être Française aussi. Et c’est ici que je vais me battre jusqu’à ma mort », a-t-elle énoncé face aux medias. Les Ivoiriens doivent tirer toutes les leçons de ce qui vient de se passer en France. On peut venir d’ailleurs et devenir quelqu’un dans le pays où on a choisi de faire sa vie. Il ne sert à rien de faire de la nationalité un objet de marchandage politique. Il y a très longtemps que le président Houphouët-Boigny a prévenu ses compatriotes. Il disait en substance qu’on ne réussira jamais à bouter hors du pays les gens dont les pères et arrières grands-pères se sont installés ici et ont contribué par leur travail à bâtir le pays. Courageusement, les Ivoiriens doivent se regarder en face, droit dans les yeux pour se dire la vérité, et régler leur problème identitaire, loin de la passion. Il est inadmissible que la Côte d’Ivoire et le Ghana qui ont pratiquement la même population aient 6 millions d’électeurs pour l’un et 17 millions pour l’autre. Cela signifie qu’il y a un vrai problème d’intégration en Côte d’Ivoire. Il est facile de déduire que ceux qui doivent avoir leurs papiers ne l’ont pas. Pour une fois, soyons logiques !
Sam W