Ambassadeur culturelle et Ambassadeur "Change Maker 2018 de l’Unicef" pour ses actions en faveur de l‘éducation et la promotion de la culture africaine, Michelle Lora est enseignante, écrivaine, conteuse et promotrice des contes africains. pressecotedivoire.ci est allée à la rencontre de cette figue incontournable du conte en Côte d’Ivoire, pour parler de cet art qui, bien que peu promu, contribue à la valorisation des valeurs culturelles africaines.
Pour vous qu’est ce qu’un conte ?
Un conte est un récit pédagogique destiné à distraire et former les individus d’une communauté. Et ces contes ne s’exécutent pas à n’importe quel moment. Le moment du conte, c’est le soir car, dans les sociétés traditionnelles, la journée était bien sacrifiée aux tâches. Le jour était le temps du labeur et le soir, le temps du repos et du loisir. Le conte est situé après le repas et avant le coucher. Ceci, pour aider l’individu à rentre dans son sommeil avec des instruments éducatifs et pédagogiques qui vont permettre de former l’individu afin de lui permettre de réfléchir et d'agir dans son subconscient. La place du conte est donc importante et la nuit est le moment choisi pour que le conte agisse dans l’esprit de celui qui a écouté le conte.
A vous entendre parler, le conte est un art typiquement africain ?
Non, le conte n’est pas typiquement africain. Il est dans toutes les cultures antiques. Mais le conte a une destinée différente en fonction du développement de ces civilisations et de ces communautés. En Côte d’Ivoire par exemple, le déclin du conte est venu du fait de l’électrification des zones rurales. Quand les villages ont été électrifiés, les populations ont eu accès à la télévision, à la lumière et aux ampoules alors qu’avant, les soirs, les populations se réchauffaient autour du feu de bois. Et c’est autour du feu que le conte se disait. Avec notre groupe "Paté Paté", nous avons voulu réveillé le conte. Ce qui nous a obligé à faire quelques entorses aux règles traditionnelles en disant le conte dans la journée car ce sont ces horaires qui nous donnent accès aux enfants vers lesquels nous allons. C’est dans les écoles que nous allons pour faire la promotion du conte et nous expliquons aux enfants que le conte est un lien entre toutes les personnes de tous les âges de la communauté car autour du feu de bois, il y a tous les âges, même si ce sont les plus âgés qui prennent la parole. Il s’agit avant tout, de faire tomber ces balises pour mettre en avant l’éducation, le respect et le partage.
Pourquoi avez-vous opté pour le conte ?
C’est l’identité culturelle qu’il y a derrière qui me plaît. Quand je dis un conte aux enfants, je leur explique le protocole des civilités, ensuite le protocole vestimentaire, la gastronomie et autres. Si vous prenez mes livres, vous verrez que les personnages, même animaliers sont revêtus des tenues des différentes régions de la Côte d’Ivoire. Le conte est donc pour moi, un prétexte pour faire connaître à nos jeunes générations, nos us et coutumes dans tous leurs aspects.
Connaissez-vous des conteurs ivoiriens qui vivent de leur art ?
Je ne sais pas et je ne pourrai pas dire s’ils vivent de leur art. Je connais quelques conteurs. Mais je ne pense pas que le conte puisse nourrir son homme en ce moment. Moi-même, conteuse, je gagne plus d’argent dans l’écriture que dans le conte. Mais je connais des conteurs qui font du très bon travail et qui sont aussi des ambassadeurs de notre culture. Je parlerai d’Adam Adepoju dit Taxi conteur, Flopi, N’Gbin, que j’ai eu l’honneur de rencontrer dans des festivals. Cependant, il y a beaucoup de conteurs de nos contrées et nos villages qui ne sont pas connus, mais qui n’en sont pas moins d’excellents conteurs. Sans moyen, nous ne pouvons pas faire la promotion de ces excellents conteurs. Néanmoins, nous nous inspirons d’eux lorsque nous avons l’occasion de les rencontrer dans les villages pour dire nos contes.
Vous vous retrouvez souvent sur les scènes internationales, au détriment de la promotion à l’intérieur de la Côte d’Ivoire. Pourquoi ne valorisez-vous pas vos talents sur le plan national ?
Le Ministère de la Culture et de la Francophonie nous associe à certaines de ses actions et des manifestations, mais dans le cadre du livre. Pour ce qui est du conte, malheureusement, ce sont des structures internationales qui sont intéressées et qui nous donnent des financements. Personnellement, je fais beaucoup de bénévolat avec notre projet "Lec’tour" qui consiste à implanter des bibliothèques en milieu rural et péri urbain et défavorisé. Lorsque nous allons dans ces zones, nous disons des contes et quand nous repartons, nous laissons un lot de livres pour que les enfants puissent avoir accès au conte. C’est un projet que je fais grâce à l’appui de mes éditeurs que sont "Les classiques ivoiriens" et "Les éditions Eburnie" qui me soutiennent beaucoup. Il est donc difficile pour moi de donner la vraie ampleur à ce projet. Sinon, la dernière grande caravane que nous avons faite a concerné huit stations en une tournée et c’est une société basée à Marseille qui nous a financé. Le ministère de la culture et celui de l’Education nationale sont toujours restés sourds à ces projets-là. Pourtant, nous savons tous que les écoles manquent cruellement de bibliothèques, que les enfants n’aiment pas lire et qu’il y a du travail à faire. Mais nous ne nous laisserons pas décourager par ce fait là. Notre objectif, c’est de faire bouger les lignes à notre petit niveau. Et si chacun à son niveau fait bouger les lignes, je pense que petit à petit, il y aura quelque chose.
Il y a quelques années, il y avait à Abidjan, un festival de conte. Que devient cette plateforme qui faisait pourtant la promotion de votre art ?
Effectivement, l’Institut Goethe organisait un festival de conte dans trois pays que sont le Mali, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Et taxi Conteur était le partenaire principal.
Pourquoi ne pas vous mettre ensemble pour organiser ce genre de festival ?
Nous en parlons souvent lorsque nous nous retrouvons dans des festivals et autres manifestations. Nous avons eu une fois l’occasion de parler de projet mais cela ne s’est pas finalisé pour une question de conflit d’agendas. La question est donc encore d’actualité.
Parlant de vos livres, est ce que les histoires que vous racontez sortent de ces derniers ou alors ce sont des histoires inédites ?
Il y a du tout. Il y a des histoires que je raconte et qui sont consignées dans des livres, il y a des histoires encore en chantier qui ne sont pas encore écrites. Il y a aussi des histoires qui sont issues de notre banque de contes. Je donne des cours de conte et de jeux populaires africains à l’Ufrica et les meilleurs étudiants ont accepté de faire un groupe de conteurs avec moi et je leur ai demandé de verser dans notre banque de contes, des contes populaires de toutes leurs régions. Et c’est cette banque-là que nous disons lorsque nous allons sur le terrain. Mais il m’arrive de dire des contes que j’ai écrit.
Pensez-vous qu’avec le conte, les enfants commencent à aimer la lecture ?
Il y aune nette évolution. Mon premier livre de conte est sorti en 2009. Et 10 ans après, il y a une belle évolution. Comme je vais sur le terrain, je vois. Au départ, les enfants ne s’intéressaient pas aux livres. Ils étaient sceptiques. Maintenant, non seulement ils me reconnaissent, mais en plus, ils demandent des livres comme cadeaux dans leurs listes de cadeaux. Même au salon ivoirien du livre d’Abidjan (SILA), la fréquentation de nos stands de conte est grandissante.
Que donnerez-vous comme conseils à des étudiants et des personnes qui ont envie d’embrasser cet art mais qui hésitent à cause de ce qu’il ne nourrit pas son homme ?
Les étudiants qui me côtoient, quand ils voient la passion que je mets dans le conte, ils ont envi de suivre mes pas et de s’essayer au conte. Il y a des étudiants qui ne sont pas de notre département, mais qui viennent se faire former pour maîtriser l’art oratoire. Il faut qu’ils sachent que pour être être crédible et connaître les codes identitaires il faut qu’ils aillent à la rencontre de leur propre culture et le conte est un canal privilégié pour la promotion de nos valeurs culturelles. Les mimes, les chants et danses qui sont autour, donnent au récit, une vie plus palpitante que le livre qui a l’air mort. Mais le livre n’est pas aussi mort car quand il est bien écrit, qu’on le lit et qu’on est bien plongé dedans, les écritures prennent vie dans notre imagination.
Solange ARALAMON