Presse, Kah Zion écrit à nouveau à Ouattara : « Monsieur le Président, la disparition programmée des journaux risque de ternir votre image »





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Excellence Monsieur le Président, de la République

Après celle que je vous avais faite le 6 décembre 2021 et à quoi vous avez bien voulu être très réceptif, je voudrais qu’il me soit à nouveau permis d’user du même canal des médias pour vous adresser une autre lettre ouverte. Et cela en vue de poser un autre problème qui risque d’avoir de sérieuses répercussions sur la marche du pays, si rien n’est fait pour le juguler le plus vite possible. Il s’agit de la presse imprimée qui se meurt sous votre régime sans réaction aucune. En tout cas, pas du côté des décideurs à qui vous avez confié la responsabilité de suivre le secteur de la presse en Côte d’Ivoire. C’est un cri du cœur, non seulement d’un journaliste professionnel (30 ans dans le métier) qui voit un secteur d’activité économique, le sien, disparaître sous les coups de butoir des difficultés. Mais aussi et surtout le cri du cœur d’un Fondateur d’une maison d’édition privée de presse qui existe depuis 21 ans et d’un ancien et 1er Président du Groupement des Editeurs de Presse de Côte d’Ivoire (GEPCI )de 2005 à 2011.

Excellence Monsieur le Président de la République,

De quoi s’agit-il ? Ce serait peu de dire aujourd’hui que plus rien ne va au niveau de la presse écrite en Côte d’Ivoire. La chute libre des ventes et des chiffres d’affaires qui frappe tous les journaux, toutes lignes éditoriales confondues, est plus qu’alarmante. Dans la globalité, en 10 ans soit de 2011 à 2021, le chiffre d’affaires des entreprises de presse est passé de 6 milliards de FCFA, à moins de 2 milliards de FCFA. Edipresse, le distributeur exclusif des journaux, ne couvre plus 40 % du territoire national. Et 60 % de la zone couverte reçoit les journaux à partir de 15 heures, ou le lendemain. Toutes choses qui augmentent le taux d’invendus à 80% en moyenne. Pis, cela fait bientôt sept (7) mois, qu’Edipresse, SARL (aux capitaux publics à 65%  détenus par Fraternité Matin et 35% à SNEDAI du tout puissant PDG Adama BICTOGO, par ailleurs Directeur Exécutif du RHDP) ne reverse pas les recettes aux entreprises de presse après distribution et ventes. Le cumul des arriérés (sept mois) de recettes dus à la trentaine d’entreprises de presse par Edipresse se chiffre à environ 400 millions de CFA, sinon beaucoup plus. Le plus surprenant dans tout cela c’est quand la maison concurrente Fraternité-Matin qui détient la part de l’Etat (actionnaire majoritaire) réceptionne l’argent des ventes des journaux sans aucune rétribution aux éditeurs des journaux. En effet, à travers son Président de Conseil d’Administration, M. SANGARE Ibrahima Sega qui s’est arrogé le titre de Directeur Général d’Edipresse depuis plus d’un an, après avoir licencié le DG HOLL Bertrand, Fraternité-Matin le journal concurrent gère les recettes des ventes des autres journaux. C’est donc le PCA SEGA qui décide de combien, quand et de comment payer aux éditeurs de la presse privée leurs dus. C’est le PCA de SNEPCI (Frat-Mat) qui signe les chèques. Un manquement grave à la bonne gouvernance. Pendant que les entreprises privées de presse broient du noir du fait des arriérés de recettes accumulés, Edipresse n’a aucun problème de trésorerie puisque son personnel  et le PCA-DG SEGA sont bien et régulièrement payés. D’où notre interrogation : et si ce sont les recettes des ventes des journaux privés bloquées par Edipresse qui font vivre Fraternité Matin? Comme si cela ne suffisait pas, la subvention que l’Etat accordait aux entreprises de presse à travers l’aide à l’impression qui couvrait les dépenses d’au moins trois (3) mois d’impression, en contrepartie de l’application de la Convention collective, est suspendue depuis 2017, sans explication. Pourtant, l’Etat par le biais de l’Autorité Nationale de la Presse (ANP), continue la régulation économique des entreprises de presse, en insistant sur l’application de la Convention Collective, la régularité fiscale, la déclaration à la CNPS. Et  enfin la récente augmentation du coût de l’impression des journaux (passant de 60 à 80 FCFA par exemplaire de journal imprimé) de 12 pages, n’a fait qu’accélérer cette descente aux enfers de la presse imprimée. Mais en plus, les imprimeurs imposent désormais aux éditeurs de presse de payer cash avant impression toutes les nuits. Si le vendeur de nos produits (journaux), Edipresse, ne nous reverse pas nos recettes, comment pouvons-nous payer l’imprimeur ? Comment pouvons-nous payer nos travailleurs à la Convention collective, nos charges fiscales et faire face aux autres charges sociales si l’EPN Edipresse refuse de nous verser nos recettes mensuelles ? Les entreprises de presse ivoiriennes sont toutes en voie de disparition. Notre peur est très grande qu’un beau matin, Edipresse qui donne des signes d’essoufflement total ne déclare faillite en emportant avec elle les recettes de plusieurs mois de ventes de nos journaux…

Excellence Monsieur le Président,

Devant tant de situations et de difficultés qui se conjuguent pour « enterrer » la presse écrite déjà confrontée aux affres de la révolution du digital, les éditeurs, par la voix de leur Président ZOHORE Lassane, se sont adressés aux autorités compétentes (le Ministère de la Communication l’ANP, le FSDP …) pour solliciter le retour de l’aide à l’impression, la publicité institutionnelle, le régime fiscal spécial ou l’exonération fiscale (comme cela a été fait de 2009 à 2011), la détaxation des intrants… Mais, les réponses reçues jusque-là sont en deçà des attentes, pour ne pas dire qu’elles frisent l’indifférence. Surtout de la part du Ministère de la Communication, notre tutelle, qui n’est pas loin de minimiser ces problèmes, si ce n’est tout simplement un silence qui frise le mépris. Pourquoi? Est-ce la manifestation d’une volonté d’asphyxier la presse et particulièrement la presse de l’opposition, sur la base de ce que nous entendons « On ne va pas donner de l’argent à des journaux qui nous attaquent » ? Toujours est-il que nous voudrions nous en remettre à votre suprême autorité pour décanter définitivement cette situation. La subvention sous forme d’aide à l’impression suspendue depuis trois (3) ans sans raison valable est pourtant une disposition de la loi portant régime juridique de la presse votée par les Députés de la Nation en 2004. En la réactivant, vous soulagerez toutes les entreprises de presse et par ricochet plusieurs chefs de famille dont les emplois aujourd’hui sont menacés. Aussi faut-il indiquer qu’au Fonds de Soutien au Développement de la Presse (FSDP), un fonds de garantie existe depuis plus d’une décennie et produit bien des intérêts. Son déblocage aiderait grandement et efficacement au redressement de la situation économique des entreprises de presse. C’est une question de volonté politique.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Après le printemps de la presse dans la décennie 1990-2000, après l’entame du processus de la professionnalisation du secteur dans la décennie 2000-2010, après l’innovation par la régulation économique des entreprises de presse depuis 2011, est-ce sous votre règne que la presse va cesser d’exister en Côte d’Ivoire? Vous qui n’avez jamais raté la moindre occasion pour prôner la démocratie, est-ce sous votre règne que la presse, outil par excellence du pluralisme d’opinion et de la démocratie, va-t-elle s’éteindre en Côte d’Ivoire? Je n’ose pas le croire. La première liberté de l’homme étant celle de s’informer et de s’exprimer, que fait-on dans ce pays nôtre ?

Excellence Monsieur le Président,

Veuillez-vous pencher personnellement sur cet épineux problème de la disparition programmée de la presse imprimée ivoirienne qui ne manquera pas de ternir votre image, celle des Institutions que vous incarnez et celle de notre beau pays, la Côte d’Ivoire.

Je vous remercie de votre attention !

Par Denis KAH ZION

Journaliste Professionnel

Président-Fondateur du Groupe de Presse « LE REVEIL »

Ancien et 1er Président du GEPCI (2005-2011)

Officier dans l’Ordre National

Officier dans l’Ordre du Mérite de la Communication

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