« On cherche à nous déposséder de notre patrimoine en mettant en place des stratégies et des mécanismes avec la bienveillante attention de nos gouvernants », a ainsi dépeint, avec ironie, Séraphin Biatchon, le tableau de la situation des droits des agriculteurs africains. Membre du Groupe coordination régionale de la Coalition pour la protection du Patrimoine Génétique Africain, COPAGEN, il modérait le webinaire sur « Les systèmes semenciers paysans face au processus d’harmonisation des cadres de régulation des semences en Afrique de l’Ouest : Enjeux et perspectives ».
Mais pour mieux cerner l’importance de cette réunion, il faut faire quelques pas en arrière et comprendre son contexte.
Perte d’identité
C’est connu, l’agriculture est le socle de l’économie de nombreux pays africains et en constitue le principal moyen de subsistance. En Afrique, la question des semences est centrale dans les systèmes de production et l’histoire de l’agriculture africaine est intimement liée à l’amélioration des variétés, à travers la sélection des semences. Elle commence avec la domestication des espèces cultivées et, se poursuit avec leur diffusion et leur acclimatation. Ainsi, dans de nombreuses civilisations africaines, la semence incarne la continuité de la vie et sa reproductibilité. Elle n'est donc pas seulement la promesse des plantes et de la nourriture à venir, mais représente aussi la culture ancestrale et l’histoire de ces civilisations. Seulement, cet édifice est menacé d’effondrement, par les appétits gourmands des mastodontes agro-industriels qui veulent exercer un contrôle sans partage sur le marché agricole africain. Qui plus est, sont aidés dans leur ambition par l’Union Africaine qui, semble-t-il, s’active par les voies du droit et de la politique, à leur offrir le plein contrôle du patrimoine semencier des pays africains, sur un plateau d’argent. Il en est ainsi du processus de mise en œuvres des lignes directrices, qui visent l’harmonisation des cadres de régulation des semences et des organismes génétiquement modifiés en Afrique. Notamment, les lignes directrices continentales pour l’harmonisation des cadres de régulation des semences en Afrique et les lignes directrices continentales pour l’harmonisation des cadres de régulation des semences en Afrique.
Passage en force
Début 2021, les organisations de la société civile sont informées par l’Union Africaine, de son désir d’harmoniser les cadres de régulation des semences et des OGM en Afrique. Il est question respectivement des deux lignes directrices sus -citées. Le 9 avril 2021, l’Union Africaine organise, à cet effet, un atelier consultatif. La société civile africaine, qui y prend part, soulève quelques grieffes. Ceux-ci portent sur la barrière linguistique, les textes n’étant qu’en anglais, et sur le court préavis pour remettre ses observations à l’Union Africaine. Mais ces grieffes, moult fois ressassés, ne trouveront malheureusement pas terre fertile. Et contre toute attente, les organisations de la société civile, apprendront le 16 février 2022, la nouvelle de l’adoption des deux textes objet de la querelle. Selon Jean Paul SIKELI, Secrétaire exécutif de la COPAGEN, qui rapporte les faits, « l’idée d’une harmonisation des cadres de régulation des semences et des OGM en Afrique aurait été bien perçue si ces processus étaient conduits dans les règles de l’art, et si, dans le fond, ils correspondaient aux aspirations les plus profondes des communautés et des peuples africains ». Mais comme on peut le voir, poursuit-il, « ces lignes directrices visent des objectifs autres que la défense des droits des communautés, des agriculteurs et des paysans africains et la protection de leurs intérêts respectifs ».
La pomme de discorde
Selon Jean Paul SIKELI, « le but ultime des lignes directrices est de parvenir à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ». Mais le bémol, c’est que cette vision diffère de celle des organisations de la société civile, qui lui oppose la souveraineté alimentaire. La première concerne les quantité d’aliments disponibles, l’accès des populations à ceux-ci ou encore l’utilisation biologique des aliments. La seconde, est en parfait désaccord avec l’organisation actuelle des marchés mise en œuvre par l’Organisation Mondiale du Commerce et accorde une plus grande importance aux conditions sociales et environnementales de production des aliments. Elle milite par exemple, pour un accès plus équitable des paysans pauvres à la terre, le maintien d’une agriculture de proximité destinée en priorité à alimenter les marchés régionaux et nationaux, et la capacité de se nourrir par ses propres moyens avec une alimentation culturellement adaptée. L’agroécologie qui en est la pièce maitresse, prône les méthodes visant le respect des systèmes et cycles naturels, le maintien et l’amélioration du maintien du sol, de l’air, la santé des végétaux et des animaux ainsi que l’équilibre entre ceux-ci. Elle désapprouve donc l’agriculture industrielle et les plantations à grande échelle qui ont, quant à elles, recours aux semences hybrides exigeantes et gourmandes en produits de synthèse chimiques et aux OGM. Ainsi, soumises à une analyse critique, les lignes directrices viseraient plutôt « la mise sous coupe réglée des multinationales du patrimoine semencier et plus globalement du patrimoine génétique africain », alerte Jean Paul SIKELI.
Reconnaissance en trompe l’œil
La COPAGEN et l’AFSA, trouvent suspecte la récurrence dans les lignes directrices, des allusions à la nécessité pour le secteur semencier africain, de muter vers une véritable « industrie semencière avancée et prospère ». Par exemple, les lignes directrices opinent que « la politique semencière et les cadres règlementaires contrôlent et facilitent l’industrie semencière » ou que « les lignes directrices soutiennent efficacement le fonctionnement de l’industrie semencière ». Mais il ne faut surtout pas s’y méprendre, prévient le Secrétaire exécutif de la COPAGEN, « l’idée de faciliter le commerce des semences dans l’espace africain n’est, ni plus ni moins, que la partie visible de l’iceberg des intentions réelles des promoteurs des lignes directrices. Il s’agit bel et bien de transformer le patrimoine semencier africain en industrie semencière » proteste-t-il. Il s’agit d’une grave dérive qui aura des conséquences irréparables sur la vie des millions de personnes qui dépendent étroitement de l’agriculture. En effet, le cadre proposé par l’industrie semencière repose sur des piliers qui criminalisent les semences paysannes. Il s’agit notamment de la certification de la qualité des semences, l’homologation et la protection industrielle des semences. Par exemple, l’homologation est la condition sine-qua-non pour commercialiser les semences, et pour être homologuées et enregistrées au catalogue semencier toute semence doit répondre à des critères de pureté génétique qui ne tiennent pas compte de la spécificité des semences paysannes qualifiées de « variétés populations » en raison de leur grande diversité. Et même si pour dissimiler cette mise à l’écart, les lignes directrices envisagent des « procédures pour répondre aux intérêts spécifiques de l’homologation des variétés locales et des matériels végétatifs, en vue de conférer aux cultures de sécurité alimentaire en Afrique, les avantages de la science et de la technologie modernes dans l’amélioration des cultures », « l’idée qui veut que des procédures soient édictées pour l’homologation des variétés locales pour servir la cause de la science et de la technologie modernes, expose dangereusement le patrimoine génétique africain au risque de bio piraterie et d’érosion génétique», rétorque le Secrétaire exécutif de la COPAGEN.
D’autres dispositions confligènes présentes dans les lignes directrices qui ont été soulevées et qui convoquent la vigilance de la COPAGEN et de l’AFSA, c’est que les lignes directrices plaident pour une reconnaissance des systèmes semenciers paysans et que cette reconnaissance est appuyée par l’exigence de domestication du Traité International sur les Ressources Phylogénétique pour l’Alimentation et l’Agriculture. Mais les lignes directrices encouragent ici « l’incorporation habile de certains éléments de la technologie moderne des semences dans les pratiques des systèmes semenciers paysans, tout en maintenant les connaissances indigènes ». Il y a là « une reconnaissance alambiquée et en trompe-l’œil des systèmes semenciers paysans » dénonce Jean Paul SIKELI qui y voit d’ailleurs un piège pernicieux quand on sait que la technologie moderne à laquelle il est fait allusion (génie génétique, édition ou réécriture génomique, forçage génétique) constitue un ferment accélérateur de la mise sous coupe réglée des multinationales du patrimoine génétique africain.
Désobéissance créative
La COPAGEN et ses alliées invitent alors les paysans et les agriculteurs africains à la désobéissance créative. Ce concept, suggère une résistance de ceux-ci à l’intrusion des éléments de la technologie moderne des semences dans les pratiques des systèmes semenciers paysans et leur ferme opposition aux engrais chimiques et aux plantes transgéniques. La désobéissance créative incite par ailleurs les paysans africains à s’inspirer les bonnes pratiques agricoles et à s’approprier les innovations au plan national et régionale, promouvant l’agroécologie.
Cette réunion, qui se voulait aussi un cadre d’orientation afin de guider les paysans africains sur les bonnes pratiques agro écologiques a été l’occasion d’appeler ceux-ci, mais aussi les gouvernants, à ne pas toujours suivre à la lettre les méthodes édictées par les institutions internationales, dont les motivations ne sont pas toujours en phase avec les réalités locales. Mais de plutôt instaurer un cadre permanent de concertation avec les organisations de la société. Mais alors peut-on encore faire évoluer les choses dans le bon sens, sachant surtout que les lignes directrices ont déjà été adoptées par l’Union Africaine. M. Jean Paul SIKELI et ses amis des organisations de la société civile se disent plutôt optimistes et appelle l’Union Africaine a la table de discussion.
Dans la déclaration, en copie jointe, qui a sanctionné cette réunion, les organisations de la société civile africaines ont exprimé leurs vives préoccupations devant ce processus qui menacent l’avenir de millions de personnes dont la vie dépend essentiellement des exploitations familiales agricoles.